Seigneurie de Delle

DESCRIPTION GÉOGRAPHIQUE

A la fin du XIIIe siècle, la seigneurie se compose principalement des terres ayant appartenu à l'abbaye de Murbach en Alsace ; ces terres ont été vendues en 1274 au comte de Montbéliard, puis confisquées en 1284 par Rodolphe de Habsbourg.
En 1274 seules les communautés villageoises de Croix, Delle, Lebetain, Montbouton Saint-Dizier et peut-être Villars-le-Sec en relèvent.
En 1303 s'y ajoutent Boncourt (Suisse), Bourogne, Chèvremont, Courcelles, Faverois, Courtelevant, Courcelles, Fêche-l’Eglise, Joncherey, Réchésy, Thiancourt, la mairie de Seppois en Alsace.
L'acquisition du comté de Ferrette et d'une partie du comté de Montbéliard par la famille de Habsbourg dans la première moitié du XIVe siècle bouleverse la géographie administrative de la seigneurie : la mairie de Chèvremont est rattachée à la grande mairie de l’Assise-sur-l'Eau, le fief de Florimont est engagé et agrandi au détriment de la seigneurie.
Au XIVe siècle, la seigneurie de Delle est un fief appartenant à la famille de Habsbourg comme héritière des comtes de Ferrette.
Après le rattachement de la province d'Alsace au royaume de France, les comtés de Belfort et de Delle sont remis en apanage au duc de Mazarin et ses descendants. En 1664 un terrier de la seigneurie est rédigé (AD68 1E 8). On y trouve en particulier :
La description des ville et villages despendans de la jurisdiction de Delle :

Delle en tout à son excellence monseigneur.
Lebetain en tout à mgr.
Sainct Desier le mont et le val en tout.
Croix en tout.
Villers en tout.
Monboutton en partie, avec Blamont.
Bocourt en mineur partie, avec Blamont.
Fesche l'Esglise en partie, avec Florimont.
Rechesy en partie, fors un homme à Florimont.
Sappois en tout à mgr.
Joncherey en plus partie, et le reste à Grandvillers.
Boron en tout, réservé en un qui est à Florimont.
Gronne en tout.
Recouvrance en tout.
Vellescot en plus partie, le reste à Florimont.
Froidefontaine en plus partie, et le reste au priory dudit Froidefontaine
Charmois idem
Boulloingne en la haulteur, et Morimont, et le reste avec Brünigkhauff, chapitre de Montbelliard, Landenberg ou Reinach, Cuermont et Spechbach
Boncourt indivis en biens communaulx avec son altesse de Pourrentruy, et mgr. le moindre en subiect.
La seigneurie de Delle est alors composée des mairies de :
  • Bourogne
  • Chèvremont (transférée, dans la première moitiée du XIVe siècle à la mairie de l'Assise)
  • Delle (magistrat)
  • Froidefontaine
  • Seppois (Haut-Rhin)
  • Saint-Dizier.

HISTOIRE

1. Les origines

Au début du VIIIe siècle, Delle est acheté par les Etichonides (ducs d’Alsace) à un certain Amingo.

En 727-728, Delle appartient au comte Eberhardt, fils du duc d’Alsace Adalbert 1er. A cette époque il fonde avec Saint Pirmin l’abbaye bénédictine de Murbach près de Guebwiller en Alsace.
Vers 736-737, le comte dote richement l’abbaye et lui donne, en se préservant certains droits, la ville de Delle et quelques biens alentours, dont Saint-Dizier.
A sa mort sans héritier en 747, Eberhardt lègue l’intégralité de ses biens et de ses droits à l’abbaye.

Le 12 mars 913, le roi de Germanie, Conrad 1er de Franconie, confirme les donations faites à l’abbaye de Murbach par Eberhardt et notamment Delle (1).

A cette époque le domaine, situé dans le comté d’Elsgau (ou Ajoie), est constitué, très probablement, par les communauté villageoise de Beaucourt, Croix, Delle, Faverois, Fêche-l’Eglise, Joncherey, Lebetain, Montbouton, Saint-Dizier, Villars-le-Sec.

2. Delle entre dans le royaume de Bourgogne

Au IXe siècle, le royaume de Bourgogne se constitue sur les décombres de l’empire carolingien. Un roi est élu en 888 par les nobles et les principaux membres du clergé de Haute-Bourgogne (ou Bourgogne transjurane) sous le nom de Rodolphe 1er (maison des Welfs).
Ce dernier affirme ses droits sur l'ensemble de la Lotharingie (Alsace et Lorraine), mais son ambition est contestée par l’empereur d’occident Arnulf de Carinthie (fils naturel du roi de Bavière Carloman et petit-fils du roi de Germanie Louis II dit « le germanique »). Arnulf force rapidement Rodolphe à abandonner la Lotharingie contre sa reconnaisse comme roi de Bourgogne.

Entre 888 et 1032, Delle est une propriété ecclésiastique inféodée à l'abbaye de Murbach. C'est un domaine d'administration directe relevant de l’empire germanique et du royaume de Bourgogne.

Le roi de Bourgogne Rodolphe III, sans héritiers directs, désigne comme successeur l’empereur romain germanique Conrad II dit « le salique ».
A la mort de Rodolphe, son neveu Eudes II de Blois dit « le champenois » conteste la désignation de l’empereur.
Une guerre de succession s’ouvre pour deux longues années. Eudes sera défait par une coalition formée par Conrad II et le roi de France Henri 1er. Le royaume de Bourgogne disparaît.

3. Louis de Scarponne et la Maison de Mousson

A la mort de l’empereur Conrad II (1039), son successeur Henri III dit « le noir» décide de se protéger des bourguignons et charge son neveu par alliance, Louis de Scarponne (1005-1075) comte de Bar et de Mousson, de défendre la Porte de Bourgogne en établissant une frontière infranchissable.
Pour cela, Louis reçoit en fief les seigneuries de Montbéliard, d’Altkirch, Ferrette et l’Elsgau. Il devient le premier comte de Montbéliard.
À sa mort, les successeurs de son fils, Thierry 1er (1045-1105) de Montbéliard, se partagent ses biens ; Renaud 1er (1090-1150) reçoit le comté de Bar et la seigneurie de Mousson, Thierry II (1081-1163) le comté de Montbéliard et Frédéric 1er (1080-1160) le comté de Ferrette et la seigneurie d’Altkirch.

À la suite de ce partage, les comtes de Montbéliard et de Ferrette deviennent des rivaux et une période de conflits s’ouvre entre eux.
Durant cette période de trouble, l’abbaye de Murbach cherche à préserver ses droits sur son domaine de Delle, pour cela elle choisit le seigneur le plus proche en la personne du comte de Ferrette comme avoué.
Le 15 mai 1226, le Traité de Grandvillars met fin aux rivalités entre les cousins. Il stipule que l’avouerie de Delle sera maintenue en gage par le comte de Montbéliard Richard III de Montfaucon (1155-1227), jusqu’à l’exécution par le comte de Ferrette Frédéric II des clauses le concernant.
Cela sera fait puisqu’en décembre 1235, le comte de Ferrette Ulrich II et son frère Albert se déclarent avoués de l’abbaye de Murbach, notamment pour son domaine de Delle (2).

Delle, de par sa situation géographique et juridique est un point faible dans la défense de la porte de Bourgogne. Le successeur de Richard, le comte Thierry III de Montfaucon (1203-1285) dit « le grand baron », conserve des velléités sur le domaine de Delle. L’abbaye s’en inquiète et, pour préserver ne serait-ce qu’une partie de ses revenus et conserver ses droits de propriété et de juridiction à Delle, elle décide le 31 décembre 1231 de le céder en fief direct à l’empereur romain germanique Frédéric II de Hohenstaufen et à son fils Henry II de Souabe (3). Ainsi, pour protéger Delle des velléités du comte de Montbéliard, l’abbaye abandonne la moitié de ses revenus dellois.

4. De l’avouerie ecclésiastique à la seigneurie, fin de la domination de Murbach

Dans la deuxième partie du XIIIe siècle, l’abbaye de Murbach doit résister aux attaques des nobles et à l’insoumission de ses sujets dans l’ensemble de ses possessions. Cette situation difficile occasionne des dépenses importantes qui contribuent à endetter l’abbaye qui veut y mettre un terme.
Concernant Delle, l’abbé Berthold de Steinbrunn décide en avril 1274 d’abandonner le domaine en le vendant finalement au comte de Montbéliard Thierry III ; s’y ajoute l’ensemble des droits et possessions que l’abbaye détient dans le secteur, notamment Croix, Essert, Montbouton, Lebetain et Saint-Dizier (4).

5. La seigneurie de Delle, bien de la Maison de Habsbourg jusqu’à la Paix de Westphalie en 1648

En 1282, par le mariage de Guillemette fille d’Amédée de Neuchâtel (Maison de Montfaucon) et de Renaud de Châlon dit « de Bourgogne » (1237-1322), la Maison de Chalon reçoit le comté de Montbéliard et notamment la seigneurie de Delle.
Renaud est le fils du comte palatin de Bourgogne Hugues III de Chalon dit « de Bourgogne ». Très ambitieux et grand querelleur, il est le digne successeur du comte de Montbéliard Thierry III de Montfaucon.
Dés son mariage, Renaud entre en conflit avec l’évêque de Bâle et le roi des Romains Albert 1er de Habsbourg (1255-1308).
En 1283, Renaud est défait, le comté de Montbéliard et les biens qui s’y rattachent lui sont confisqués jusqu’au versement d’une somme de 8000 livres tournois.
Pour payer cette amende Renaud vend en avril 1284 la seigneurie de Delle et l’ensemble des biens s’y rattachant au roi des Romains qui le réinvestit alors du comté de Montbéliard (5).
En 1299, le roi des Romains Albert 1er donne au comte de Ferrette la seigneurie de Delle à l’occasion du mariage de sa fille Jeanne dite « Jeannette » (fille d'Ulrich III de Ferrette et de Jeanne de Montbéliard et petite fille de Renaud de Chalon), avec son fils Albert de Habsbourg (1298-1358).
Au décès d’Ulrich III le 10 mars 1324, la seigneurie de Delle revient par un arrangement entre ses héritiers à la Maison de Habsbourg (6) et elle le restera jusqu’à la signature du Traité de Münster (ou "de Westphalie") le 24 octobre 1648.

6. La Guerre de Trente Ans, passage sous domination française

Au cours de la Guerre de Trente Ans, la ville de Delle est conquise le 24 mai 1634 par les troupes militaires suédoises.
Reprise pour un court instant par l’empereur romain germanique Ferdinand III de Habsbourg (1608-1657), Delle se rend finalement en avril 1636 au lieutenant des armées du roi de France, Louis de Champagne (v. 1576-1636) comte de La Suze, gouverneur de Montbéliard depuis 1635.
Il devient le premier seigneur français à Delle.
A la suite de la mort de Louis le 25 septembre 1636, le roi de France, Louis XIII (1601-1643) accorde au fils du comte, Gaspard de Champagne (1617-1694), les revenus de la seigneurie de Delle ; dans le même temps, il reçoit les revenus de la seigneurie de Belfort et en est nommé gouverneur. Gaspard prend le titre de Comte de Belfort en remplacement de l’ancienne dénomination autrichienne de « grand bailli ».
En 1648, le traité de Münster ne modifie pas la situation qui s’est établie à Delle à partir de 1634, mais au cours de la Guerre de la Fronde (1648-1653), Gaspard prend le parti du prince Louis II de Bourbon-Condé dit « le grand Condé » (1621-1686).
Gaspard est défait par le Maréchal Henri de La Ferté-Senneterre (1599-1681).
Le 16 janvier 1654, un arrêt du Conseil d’Etat lui retire ses droits, notamment sur la seigneurie de Delle. Le roi de France, Louis XIV (1638-1715) fait donation au cardinal Jules Mazarin (1602-1661) de la seigneurie de Delle et annule définitivement les titres que possédaient Gaspard en 1658.

7. Les ducs de Mazarin, seigneurs de Delle jusqu’à la Révolution

Par lettre patente du 21 décembre 1658, le roi de France Louis XIV confirme les donations qu’il a faites au cardinal Mazarin, dont la seigneurie de Delle.
A sa mort le 9 mars 1661, la fortune du cardinal est estimée à 39 millions de livres tournois, la seigneurie de Delle revient à l’héritier qu’il a désigné en la personne d’Armand Charles de La Porte, premier duc de Mazarin, époux de la Hortense Mancini (1646-1699), nièce du cardinal.

8. Le prince de Monaco, Honoré IV Grimaldi, héritier du cardinal, dernier seigneur de Delle

Le cardinal Mazarin avait obtenu du roi de France le privilège que ses droits puissent se transmettre par ses héritières lorsqu'une lignée masculine s'éteignait.
Cela se produira 3 fois depuis sa mort jusqu’à la Révolution Française. La dernière héritière est Louise Félicité Victoire d’Aumont (1759-1826).
A l’occasion de son mariage le 15 juillet 1771, elle transmet les droits hérités du cardinal à son époux le prince de Monaco Honoré IV de Grimaldi.
Le prince est seigneur de Delle pendant 22 ans puis lors de la Révolution Française, l’Assemblé Nationale Constituante à partir de la nuit du 4 août 1789 puis la Convention Nationale le 17 Juillet 1793, supprime définitivement les droits seigneuriaux.

ADMINISTRATION DE LA SEIGNEURIE

1. La justice

La seigneurie de Delle a sa propre justice.
Celle-ci et les justices particulières rendues par les mairies la composant ainsi que celle du magistrat de Delle relèvent en appel de la seigneurie de Belfort (dite "de la Roche de Belfort") avant la guerre de 30 ans.
Au delà, l'appel peut se prolonger devant le tribunal de la Régence des pays de l'Autriche antérieur à Ensisheim pour la période autrichienne.
Le Conseil souverain d'Alsace à Colmar prendra la suite de la Régence d'Ensisheim pendant toute la période française d'Ancien Régime.
La seigneurie de Belfort possède une prédominance sur les autres dans sa région, on le voit notamment pour les appels de justice qui s'effectuent au tribunal de la Roche (château de Belfort).
Toutefois la seigneurie de Delle est moins liée que d'autres à celle de Belfort du fait d'une situation particulière qui lui vaut de comprendre la ville de Delle (dotée de franchises et possédant son château), et d'avoir un passé complexe et distinct.

2. Administration de la seigneurie

Au cours de la période française d'Ancien régime la seigneurie est administrée par un bailli (officier seigneurial).
Cette charge seigneuriale et celle de bailli royal sont presque toujours aux mains de la même personne ; celle qui les détient possède un pouvoir considérable dans les domaines de la justice, de la police et des finances.
En 1700, Paul Jules de la Porte Mazarin (fils du duc Armand Charles et d'Hortence Mancini nièce du cardinal) impose contre l'avis de son père la vénalité des charges dans leurs terres de haute Alsace ; âprement convoitée, elles feront alors l'objet de nombreux conflits entre les familles Taiclet et Boug.
Au début du XVIIIe siècle, la charge de prévôt de la ville de Delle est annexée à celle de bailli de la seigneurie, ce qui renforce encore le pouvoir du détenteur de ces charges.

Olivier Billot août 2007

NOTES

1 Jean Daniel Schoepflin : « Alsatia Diplomatica », I, 1772-1775, titre 9 :


3 Id, titre 463 et Léon Viellard, Doc., 415
4 Joseph Trouillat, Monuments de l'Histoire de l'Ancien Eveche de Bale III, p. 673, citant Charles Duvernois, Ephéméride du Comté de Montbéliard
5 Id. - Jules Joachin, BSBE 58, 14 - Marquard Herrgott, Genealogiae diplomatica Augusta Gentis Habsburgicae II, titre 616
6 Joseph Trouillat, MHAEB III, titres 198, 199 et 201 - Marquard Herrgott, GDAGH II, titres 747 à 752
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