Franchises à Beaucourt au XIVème siècle

Comté de Montbéliard et seigneurie de Blamont, d'après Heinrich Schickhardt, public domain, via Wikimedia Commons

Par LISA
Archive : AN K 2362
Dans l'archive K 2362, pour les franchises relatives aux communautés du T. de B., les pièces concernant Beaucourt sont les plus nombreuses ; voici un tableau récapitulatif (en gras les "affaires" traités dans cet article) :

vue pièce année copie description parchemin dossier* autorité
3 3 1322-1324 XVIème affranchissement d’Estevenin et Cuenin dit Grangier, frères   A Ferrette
4 3 1413 XVIème reconnaissance de franchise à Estevenin et Jean Boutenat son fils   B Habsbourg
8 6 1360 XIVème aff. de Jean fils Huguenin et Othenin fils Estevenin le grangier x C Neufchâtel
6 5 1360 1599 copie  
18 12 1611 ? confirmation des franchises pour les Martin, en référence à la pièce 6  
12 8 1360 XIVème aff. d’Huguenin dit Broc x D
15 10 1506 XVIème confirmation des franchises de P. Gressard et G. Lyon et des francs de B. ; se rattache potentiellement au dossier A   E Habsbourg
23 15 1658 1720 aff. de Richard Monnin   F Montbéliard
26 15 1711 1720 aff. de Claude Monnin, fils de Richard  
30 16 1711 1732 copies de 23 et 26, pour 4 Monnin, petits-fils de Richard  
35 18 1728   relation touchant à l’exemption de l’éminage de Montbéliard, à laquelle les Monnin de Beaucourt prétendent  
37 19 et 20 1728   rescrits en allemand du comte, pour l’affaire précédente  
41 21 à 25 1748   confirmation des droits des Monnin  
53 27 à 32 1770-1771   id  
72 34 à 36 1758-1763   aff. de Pierre Japy et postérité   G
78 38 à 40 1770   aff. de Jean Georges Bernard   H
93 47-48 1777   aff. de la mainmorte sur la maison de Jean Georges Bernard  
84 40 à 43 1772   aff. de la mainmorte sur un bien de Georges Frédéric Monnin   I
90 45 1776   aff. de la mainmorte sur un bien de Jean Guillaume Monnin (avec plan)   J
98 50 à 53 1783   aff. de la mainmorte sur la maison de Jean David Duret   K
106 55 à 57 1784   aff. de la mainmorte sur un bien de Jean Georges Perlet   L

* cette numérotation des dossiers nous est propre.

On note que les dossiers A, B et E correspondent à des franchises ne relevant pas de la souveraineté (ou suzeraineté) montbéliardaise, mais de la partie Ferrette/Habsbourg.
En réalité, les pièces 3 et 8 correspondantes forment seulement deux feuillets qui sont des copies de la même main (que nous estimons du XVIème siècle) qui, pour des raisons inconnues, ont été détenues par la chancellerie du comte de Montbéliard.

Nous allons traiter les dossiers par ordre chronologique de l'original de la première pièce.

1. Les seigneurs de Montbéliard et de Blamont

Faisons le point sur les lignées souveraines du comté de Montbéliard et de ce qui deviendra le comté de Belfort, en partant de la seconde moitié du XIIème siècle.

Généalogie simplifiée des comtes de Montbéliard, et des seigneurs de Neufchâtel-Bourgogne (à distinguer des comtes de Neuchâtel en Suisse, comme Rodolphe III et ses successeurs).
À remarquer la succession complexe de Thierry III de Montfaucon-Montbéliard, qui institue pour héritière son arrière-petite-fille, Guillemette de Neufchâtel.

 

COMMENTAIRES :

La maison de Neufchâtel, dite aussi de Neufchâtel-Bourgogne, est une famille noble qui a possédé des biens et des titres lui conférant une importance comparable à celle des comtes de Montbéliard, du moins jusqu'au XIVème siècle. Leur fief éponyme était le village actuel de Neuchâtel-Urtière.
Ils ont détenu des fiefs dans plusieurs secteurs du département actuel du Doubs.

Une longue lignée de Thiébaud de Neufchâtel (de I à X) a été à la tête de cette famille. Ceux qui apparaissent dans les franchises ci-dessous sont Thiébaud V (~1317-1366) et son père Thiébaud IV (>1270-1337).

Par son mariage avec la dernière fille du comte Thierry III de Montbéliard Marguerite de Montfaucon, Richard, arrière-grand-père de l'auteur des franchises, possède les seigneuries de Blamont, Clémont et Châtelot.

Renaud de Chalon, dit de Bourgogne, hérite parallèlement du comté de Montbéliard par son mariage avec Guillemette, petite-nièce de l'épouse de Richard.
Le comte Renaud, pour éviter une guerre de succession, confirme en 1283 l'appartenance desdites seigneuries à Thiébaud III, mais en en conservant la suzeraineté.


Sur cette carte de 1616 (extraite de celle de Schickhardt), le village de Beaucourt (cerclé) est totalement inclus dans le comté de Montbéliard, alors qu'il était en réalité partagé entre la seigneurie de Blamont et le comté de Belfort.

 

Au début du XIVème siècle, après celle de Thierry III (ci-dessus) qui avait fait de son arrière-petite-fille Guillemette son héritière, 3 nouvelles successions complexes s'enchaînent :

  • Le fils unique de Renaud, Othenin, n'avait pas les facultés mentales suffisantes pour succéder à son père (6). 
    Le comté de Montbéliard est alors partagé en 1321 entre les 4 filles de Renaud, Agnès, Jeanne, Marguerite et Alix. La première recevra la partie principale du comté, avec Montbéliard, et la seconde, mariée au comte Ulrich de Ferrette, la partie orientale, avec Belfort, Héricourt, Rougemont, Florimont, Grandvillars, la suzeraineté sur Blamont, etc. Les cadettes (que nous ne figurons pas sur l'arbre ci-dessus) obtinrent également des fiefs.
  • À son tour, en 1324, Ulrich décède sans héritier mâle. Lui et Jeanne n'ont que deux filles : Jeanne (de Ferrette) et Ursule. Le comté de Ferrette est donc, en principe, partagé entre elles deux. Mais Ursule et son mari, Hugues de Hohenberg, ne font guère le poids à côté du mari de Jeanne, le duc Albrecht / Albert de Habsbourg, déjà possessionné dans la région (en particulier à Delle). Celui-ci rachète à Ursule et son mari tous leurs droits sur le comté de Ferrette.
  • Le cas de Belfort est encore plus complexe, puisqu'il relève, avec les fiefs cités ci-dessus, de la succession de Jeanne de Montbéliard. Or, celle-ci a eu, avec son second mari Rodolphe-Hesso de Bade, 2 autres filles, Alix Adelaïde et Marguerite. Elles seront donc en 1349 (décès de Jeanne de M.) 4 filles à se partager le secteur de Belfort.
    Plusieurs rachats et partages se succéderont, avant que, finalement, l'essentiel de la région de Belfort et de ses seigneuries (mais pas Héricourt) ne se retrouve entre les mains des ducs, puis archiducs de Habsbourg.

La situation de certains villages frontaliers entre les comtés de Montbéliard et de Belfort, où les sujets ont dépendu de l'un ou de l'autre, est la conséquence de ces partages complexes.
C'est le cas de tous ceux pour lesquels des actes de franchises se retrouvent dans cette archive : Beaucourt, et également Grandvillars, Dorans, Châtenois, etc. mais aussi Nommay, Brognard, Fesches-le-Châtel, Dampierre-les-Bois, actuellement dans le Doubs.

2. Franchises de 1322-1324 (dossier A)

La pièce 3 de l'archive est constituée de 3 copies sur le même feuillet, recto-verso, et de la même main : les deux premières (dossier A) concernent Estevenin et Cunin, frères, dits Grangier. Le premier acte est délivré par "Houriz" (Ulrich), comte de Ferrette, et le second par Jeanne de Montbéliard, sa veuve en 1324.

2-1. Transcription et adaptation en français actuel

Nos Houriz cuenz de Ferratez faiçons à savoir à toz
ces qui ses presentes lettres vairont et oiront, que nos
havons pris et prennons en notre bone et save garde Este-
venin et Cunin freres dit Grangié de Bocourt. Et lour
avons promis et promatons de garder et saver et adier
et conseiller, ensi com nos autres bourgois. Et voulons
qu'ill aient lour usaige et pasturaige si com nos autre gens
suis nos et suis nos gens en tous leus, et lour buchaige
et fuaige si com autre nos gens. En tesmoignaige
de veritet nos avons mis notre saiel en ces presentes
lettres, faites et données l'an de grace mil troiz cens
et vint et dous lou sambedi apres la sant Nicolaz.

Seellées d'ung seel pendant à une cue, imprimé en
cire vierge, ayant une effigie d'ung homme d'arme à cheval.

Nous Ulrich, comte de Ferrette, faisons savoir à tous
ceux qui ces présentes lettres verront et ouïront, que nous
avons pris et prenons en notre bonne et sauve garde Esté-
venin et Cuenin, frères, dits Grangier, de Beaucourt. Et leur
avons promis et promettons de les protéger, aider 
et conseiller, comme nos autres bourgeois. Et nous voulons
qu'ils aient les mêmes droits d'usage et de pâturages que nos autres gens
sur nos terres et celles de nos gens (1), en tous lieux, et (soient francs de) leurs droits de bûcheronnage
et de leurs fouages, comme nos autres gens. En témoignage
de vérité, nous avons mis notre sceau en ces présentes
lettres, faites et données en l'an de grâce 1322,
le samedi 4 décembre.

Scellées d'un sceau pendant à une queue, imprimé en
cire vierge, ayant une effigie d'un homme d'arme à cheval.

 

Nos Iehanne de Monbelliard, contesse de Ferrate,
faiçons savoir à toz cez qui cez presentes lettres
vairont et oiront que nos avons pris et pren-
nons en note bone et save garde Estevenin et Cunin
freres dit Grangié de Bocourt, et pour nos homes especialz
et franz de totes choses, parmey dous tables de cyre,
qu'ill et lour hoir nos doent doner et paier à chescun à
la nativiteit notre seigneur. Et lour avons promis et pro-
matons en bone foy de garder et saver et conseiller si com
nos autres homes et bourgoiz. Et voulons qu'ill aient
lour usaige et pasturaige par tout suis nos et suis nos gens,
si com nos autres gens, en toz leus. Et lour avons doné
buchaige et fuaige en lour maisons de Bocourt, par tot
es nos bois et es bois de nos gens. Et sont et doent estre
illi et lour hoir notre home francz, et à nos hoirz ausi.
En tesmoingnaige de verite nos lour avons doné ces
presentes lettres saeleez de notre grant sael, faites et doneez
l'an de grace mil troiz cenz vint et quatre, lou sambedi
aprez la feste sainte Lucie.

Ainsi seelles d'ung seel en cire vierge rompu
à queue pendant.

Nous Jeanne de Montbéliard, comtesse de Ferrette,
faisons savoir à tous ceux qui ces présentes lettres
verront et ouïront, que nous avons pris et pre-
nons en notre bonne et sauve garde Estévenin et Cuenin,
frères, dits Grangier, de Beaucourt, comme nos sujets importants
et francs de toutes choses, moyennant deux tables de cire,
qu'eux et leurs hoirs devront donner et payer chaque (année) à
Noël. Et nous leur avons promis et pro-
mettons de bonne foi de les protéger et conseiller, comme
nos autres sujets et bourgeois. Et nous voulons qu'ils aient
les mêmes droits d'usage et de pâturages, partout sur nos terres et celles de nos gens,
comme nos autres gens, en tous lieux. Et nous les avons exemptés des 
droits de bûcheronnage et des fouages en leurs maisons de Beaucourt, partout
en nos bois et en ceux de nos gens. Et sont et seront,
eux et leurs hoirs, des sujets francs de nous et aussi de nos hoirs.
En témoignage de vérité, nous leur avons donné ces
présentes lettres scellées de notre grand sceau, faites et données
en l'an de grâce 1324, le samedi
15 décembre.

Ainsi scellées d'un sceau en cire vierge rompu,
à queue pendante.

 

(1) : "suis nos et suis nos gens" : "sur nous et nos gens" = "sur nos terres et celles de nos gens" ; "gens" peut désigner des vassaux, des communautés, voire des sujets. Voir à ce propos le dossier B.

2-2. Commentaires

L'année 1324 est celle du décès d'Ulrich, dernier comte de Ferrette de la lignée originelle.

Ultérieurement, Jeanne se remarie donc avec Rudolf-Hesso de Bade (qui est l'auteur des confirmations des franchises de Belfort en 1332, comme on l'a vu dans notre article sur les premiers bourgeois de Belfort).

En cette année 1324, est-elle déjà remariée ? Probablement pas, sinon cet acte n'aurait pas été sous son sceau, mais sous celui de son mari Hesso.


Les franchises mentionnées dans ces actes, et les suivants, sont synthétisées dans le dernier paragraphe.

Voire également le dossier E (confirmation de franchises en 1506)

 

3. Franchise de 1360 (dossier C)

On trouve dans cette archive deux actes de franchises à des particuliers délivrés en l'année 1360 par Thierry V de Neufchâtel-Bourgogne à des habitants de Beaucourt relevant de sa seigneurie de Blamont (ce dossier et le suivant).
Autre point commun, les bénéficiaires résident dans une forêt du finage de Vandoncourt, appelée Forêt Hollard aujourd'hui. Ils étaient probablement des charbonniers.

3-1. Transcription et adaptation en français actuel

La pièce 6 est une copie, probablement très ancienne, de l'acte de franchise ; du point de vue archivistique, c'est la plus belle pièce de ce dossier :

1 Je Thiebault sires de Nuefchastel fais scavoir à tous que, come je hae trovey par l'informacion de bones genz que Messire Thiebauz mes peres,
2 cui dex perdoint, havoit donez à Jehan filz Huguenin et ai Othenin fil Estevenin le Grangier de Boncourt lour fuyaiges en la forest
3 de Vandoncourt qui est appellée la forest Monss. Abart à toz jorsmais, pour lour et pour lours hoirs, lour fuyages. Item assi
4 havoit ordeney li diz messire Thiebauz mes peres que nulz ne fiest la taille ne getest tailles es diz Jehane et filz Huguenin,
5 ne à dit Othenin fil Estevenin, mas ques à l'ordenance de luy ou de son chastellein de Blantmont et assi estoent quicte ly diz
6 Jehanne et Othenins de touz charaiz et de totes corvees et de totes atres chacuses et servitutes, se ly diz messire Thiebauz mes
7 peres ou ses diz chastelleins de Blantmont ne lour comandoit de boiche. Je, ly diz Thiebault, sires de Nuefchastel la dite ordenance
8 et toutes les chouses contenues en ces predites lettres, comme sires, pour moy et pour mes hoirs, louhois, approvois, aggrahois et
9 ratiffiois es diz Jehanne et fil Huguenin, et à dit Othenin fil Estevenin et à lours hoirs, à touz jorsmais. En tesmoingnage de laquel
10 chouse je Thebault, sire de Nuefchastel hai fait mectre en ces presentes lettres mon seel douquel seel messire Guillames de Vellefaul
11 mes baillifs use en mes terres. Et est assavoir que pour la cause dessus dite je, Thiebault, sire de Nuefchestel ai recehu des diz
12 Jehane et Othenin trante florins de Florance de bon or et de loiaul pois et m'an tien pour bien appaier. Ce fut fait et
13 doney le sambedi après la saint Ylaire l'an mil iiic cinquante et nuef, presenz Monss. Joffrey signaur de Belmefz, Rechardt
14 de Say, Jehan Siblat, escuier et plusieurs atres.                                   Signee pour copiee extraicte à vray original et collacionnee
15 de mot en mot et orthografier selon le contenu du vray original par nous Guillaume Maingnin de Motier Haulte Pierre prebstre,
16 curé de Bois le Pourrentru, chappellain à Delle, notaire publique de l'auctoritee imperialle et jurer de la court de/td>
17 Besançon et Guillaume Fingerlin de Chastenoy clerc jurer de ladite court de Besançon.

 

La teneur de l'acte original prend fin à la ligne 14 ; suit la mention du copiste. Le parchemin est superbement paraphé par Fingerlin / Finguerlin et Maingnin :

Avant de donner une interprétation moderne de ce texte, il faut ajouter que la pièce 6 est accompagnée de la pièce 5, autre copie du même texte, mais datant de 1599. Nous allons l'utiliser pour éclaircir (ou pas) certains passages ci-dessus.
En conservant la mise en page de la pièce la plus ancienne, voici les différences notables de sens qui apparaissent dans la pièce 5 (suivi de la mention du copiste) :

1 Je Thiebault sires de Nuefchastel fais scavoir à tous que, come je hae trovey prins par l'informacion de bones genz que Mess(ire) Thiebauz mes peres,
2 cui dex perdoint, havoit donez à Jehan filz Huguenin et ai Othenin fil Estevenin Le Grangier de Boncourt Bocourt lour fuyaiges en la forest
3 de Vandoncourt qui est appelée la forest Monss. Abart Allard à toz jorsmais pour lour et pour lours hoirs lour fuyages. Item assi
4 havoit ordeney li diz messire Thiebauz mes peres que nulz ne fiest la taille ne getest tailles es diz Jehane et filz Huguenin,
5 ne à dit Othenin fil Estevenin, mas ques jusques à l'ordenance de luy ou de son chastellein de Blantmont et assi estoent quicte ly diz
6 Jehanne et Othenins de touz charaiz et de totes corvees et de totes atres chacuses et servitutes, se ly diz messire Thiebauz mes
7 peres ou ses diz chastelleins de Blantmont ne lour comandoit de boiche loiche. Je, ly diz Thiebault, sires de Nuefchastel la dite ordenance
8 et toutes les chouses contenues en ces predites lettres, comme sires, pour moy et pour mes hoirs, louhois, approvois, aggrahois et
9 ratiffiois es diz Jehane et fil Huguenin, et à dit Othenin fil Estevenin et à lours hoirs, à touz jorsmais. En tesmoingnage de laquel
10 chouse je Thebault, sire de Nuefchastel hai fait mectre en ces presentes lettres mon seel douquel seel messire Guillames de Vellefaul
11 mes baillifs use en mes terres. Et est assavoir que pour la cause dessus dite je, Thiebault, sire de Nuefchestel ai recehu des diz
12 Jehane et Othenin trante florins de Florance de bon or et de tres loiaul pois et m'an tien pour bien appaier apportionné. Ce fut fait et
13 doney le sambedi après la saint Ylaire l'an mil iiic cinquante et nuef, presenz Monss. Joffrey signaur de Belmefz Bermont, Rechardt
14 de Say, Jehan Siblat, escuier et plusieurs atres.
  Lesdites lettres se tiennent escriptes en parchemin, un sceau imprimé en cyre verde y pendant à simple quehue de parchemin, prinse du mesme parchemin curoires y attaché, et du corps desdites lettres, que ne sont soubsignez. Et je, notaire soubscript #rectifié# avoir d'icelles extraict la presente copie en tirer du propre original de mot à mot, du moings approchant au vray sous et la substance en gardée ledit original retienne sain et entier carent de vices visibles pour servir austant que de raison à qui il appartiendra, et le tout sans prejudice d'iceluy original ; à Montbeliard ce vingt sixieme jour de septembre l'an mil cinq cens nonante et neufz.

 

Voici à présent une adaptation moderne du premier texte :

1 Moi Thiébaud, sire de Neufchâtel, fais savoir à tous que, comme j'ai trouvé, informé par de bonnes gens, que Messire Thiébaud mon père,
2 que dieu absolve, avait donné à Jean fils d'Huguenin et à Othenin fils d'Estévenin le grangier (a) de Beaucourt (b) leur fouage (c) en la forêt
3 de Vandoncourt qui est appelée la forêt Hollard (d), à toujours pour eux et leurs hoirs. Item aussi
4 avait ordonné le dit Messire Thiébaud mon père que nul ne préleva de tailles sur lesdits Jean fils d'Huguenin (e)
5 ni à Othenin fils Estévenin, sauf sur l'ordre de lui (f) ou de son châtelain de Blamont, et aussi qu'étaient quittes les dits
6 Jean et Othenin de tous charrois (g) et de toutes corvées et de toutes autres chacuses et servitudes, si lesdits messire Thiébaud mon
7 père ou sesdits châtelains de Blamont ne leur commandait de vive voix (h). Moi, ledit Thiébaud, sire de Neufchâtel, loue, approuve, agrée et
8 ratifie ladite ordonnance et toutes les choses contenues en ces prédites lettres, en tant que seigneur, pour moi et mes hoirs,
9 auxdits Jean fils d'Huguenin et à Othenin fils d'Estévenin et à leurs hoirs, à tous jamais. En témoignage de quoi,
10 moi, Thiébaud, sire de Neufchâtel, ai fait mettre en ces présentes lettres mon sceau que messire Guillaume de Vellefaux
11 mon bailli utilise sur mes terres. Et sachant que, pour la cause dessus-dite, moi, Thiébaud, sire de Neufchâtel, ai reçu desdits
12 Jean et Othenin trente florins de Florence en bon or et léal poids, et je m'en tiens pour bien payé. Ce qui fut fait et
13 donné le samedi 11 janvier 1360 (i), en la présence de M. Jauffrey, sire de Belmetz / Bermont (j), Richard
14 de Say, Jean Siblat, écuyer, et de plusieurs autres.                           Signée pour copie extraite du vrai original et collationnée
15 mot à mot et orthographié selon contenu de l'original par nous Guillaume Maingnin de Moutier-Haute-Pierre, prêtre,
16 curé de Bois (k) le Porrentruy, chapelain de Delle, notaire public de l'autorité impériale et juré de la cour de
17 Besançon, et Guillaume Fingerlin (l) de Châtenois, clerc juré de ladite cour.


Notes pour cette adaptation :

(a) : Est-ce un surnom, ou simplement une profession ? Nous avons opté pour la seconde interprétation.
(b) : Le texte original donne Boncourt, mais la forêt Hollard, sur le finage de Vandoncourt, est tout de même beaucoup plus proche de Beaucourt que de Boncourt. Par ailleurs, la seigneurie de Blamont, si elle inclut les villages de Beaucourt et Vandoncourt, n'a jamais intégré celui de Boncourt (JU). Enfin, les deux pièces suivantes indiquent bien Bocourt, et non Boncourt.
(c) : fouage : imposition perçue par un seigneur sur chaque feu et maison de ses sujets.
(d) : La lecture "Monss. Allard" de la copie de 1599 (comme dans la copie ancienne de l'autre acte de 1360) est plus crédible que le "Monss. Abart" de 1360, et nous donne l'étymologie de ce toponyme t, qui, à peine déformé, a traversé les siècles.
(e) : À 3 reprises, la copie ancienne indique Jehan / Jehane et fils Huguenin ; mais la dernière mention montre bien qu'il n'y a que deux individus bénéficiaires.
(f) : La partie la plus floue du texte. La copie ancienne porte le terme "mas ques" ; il peut être équivalent à "mais que", qui se traduirait ici par "seulement si", "sauf". L'autre copie remplace par "jusques", ce qui finalement revient un peu au même ; nous traduisons donc par "sauf".
(g) : charroi : corvée seigneuriale consistant en un transport par charrette.
(h) : Divergence entre les deux textes : dans le premier : "boiche", et dans l'autre "loiche" ; le second ne se rattache à rien, alors que "boiche" est attesté pour "bouche" (comme dans l'autre acte de 1360). On comprend donc "si le dit messire Thiébaud ou ses dits châtelains de Blamont ne leur commandait de bouche", que nous avons adapté en "de vive voix".
(i) : Comme souvent la datation pose question. Aucun style n'est mentionné. Mais les sires de Neufchâtel sont clairement de culture bourguignonne (comté), comme leurs notaires. Il nous semble donc logique de supposer qu'ils emploient le style "de Besançon", i. e. le style de Pâques, (cf. notre article) ce qui nous donne la date du 11 janvier 1360.
(j) : Divergence entre les deux textes : dans le premier : "Belmetz", et dans l'autre "Bermont" , ce qui n'a pas grand chose à voir. Dans la logique de ce qui apparaît au paragraphe suivant, Bermont n'est pas le village du Territoire-de-Belfort, où il n'a jamais existé de fief seigneurial, mais plutôt le château de Bermont / Belmont, sur la commune d'Anteuil (25340), proche de Neuchâtel-Urtière, et qui était tenu, avec Glainans et Tournedoz, par une famille éponyme, alliée des Neufchâtel.
(k) : "Bois le Pourrentru" : s'il est certain que Pourrentru = Porrentruy, nous n'avons pas connaissance d'une paroisse pouvant s'identifier à ce "Bois" à proximité de Porrentruy.
(l) : Il est intéressant de relever ce patronyme de Finguerlin (suivant la signature) : il est bien connu à Belfort au XVème siècle, avec Me Léonard Finguerlin, recteur d'école, puis notaire et tabellion de la ville, et également juré de la cour de Besançon, comme ce Guillaume, auquel il est probablement apparenté, bien que Léonard soit dit originaire de Réchésy.

3-2. Contenu des franchises

Peu de grain à moudre ici.

Les bénéficiaires sont définitivement dispensés du fouage.

Pour les autres impositions (taille, corvées, charrois et autres chacuses et servitudes), ils le sont également, sauf sur réquisition expresse du seigneur.

Tout cela semble assez fragile, mais on remarque tout de même que, 240 ans après leur délivrance, une copie de ces franchise a été réalisée. Il y a donc quelques probabilités que les deux "affranchis" aient eu des descendants, et que ceux-ci ont accordé suffisamment d'importance à cet acte pour en demander une copie.

3-3. Les héritiers, en 1611

La pièce 12 est une conséquence tardive de cette franchise de 1360 : il s'agit d'une sentence de la justice de Montbéliard, suite à la demande de Jean Damatte et Jean Martin, qui réclament que leur soient accordées les exemptions en vertu de l'acte précédent, clairement identifié par sa date (sambedy après la sainte Ylaire l'an mil trois centz cinquante neufz) ; d'une lecture difficile, nous la transcrivons en entier (merci à Robert B.) :

Des causes du souverain buffet de la
seigneurye de Blanmont tenues en
la cour et chancellerye de
Montbeliard par emprunt de territoire (1)
et sans prejudize du ressort, le
mecredy premier jour du mois de
may l'an mil six cens et unze, par
nobles et honorez sieurs messire
Jehan Christoffle Zemger docteur ès
droictz, chancellier, Hector Carray,
conseiller, messire Jaques
Leffler, docteur ès droictz, vice
chancellier, Andrey du Vernoy,  messire
David du Vernoy, docteur ès droitz,
conseillers, et Joseph Titot, greffier
de ladite cour, maistre Jehan Ponnier (2),
procureur de Jehan Damatte et
Jehan Martin de Bocourt, supplians
par requeste, et demandeurs, contre
Me Richard Vurpillot, procureur
d'office ès terres et seigneuryes de
Blanmont, deffendeur, et contre mre
Jehan Laude excuseur. Veuz les
actes escriptures et procès des parties
fournies en la presente cause, signanment
les lettres de franchises produites et
exhibez par les demandeurs et concedées à
leurs devanciers par feu Thiebauld
seigneur de Neufchastel le sambedy
après la sainte Ylaire l'an mil
trois centz cinquante neufz, les
preuves et enquestes faictes de leur
part sur le faict de l'exemption
pretendues en vertu desdites lettres par
devant les sieurs chastelain et officiers
de Blanmont sur commission à eulx
donnée de ce conseil, le tout posé
et consideré à mehure (mûre) deliberation,
maintenant lesdits demandeurs en leurs
droictz possesseurs, exemption et
franchises allegués en leurs escriptures,
l'on les declaire, ensemble leurs ancien
maix et heritages francs et deschargez
de la maculle de mainmorte et
serve condition dont la majeure part
des aultres subjects et habitans de
Bocourt de la seigneurye dudit Blanmont
sont chargez et affectez envers son
altesse, mesmes aussy exempt des
fuages, poulles et courvées que lesdits
mainmortables sont attenuz, ains seullement
chargés des tailles anciennes et
accoustumées, du guet au chasteaul
dudit Blanmont, et d'assister aulx
chasses ainsy que du passé,
selon que le tout il a apparuz
par lesdites preuves de procès,
condampnant lesdites partyes respectivement
tant par provision que deffinitive
de ce conformer à ce. Les despens par
elles faictz en ceste instance compensez
et pour cause. Signé par extraict
du regestre  et seelé d'ung
seaul imprimé en cyre vermeille à
double queue de parchemin pendant.

 

Même si certaines portions du texte restent peu claires, on peut déduire principalement de cet acte que la franchise de 1359/1360, qui nous paraissait d'une ampleur modeste, vaut aux héritiers des bénéficiaires d'importants avantages : ceux ci sont francs, déchargés de la "macule" de mainmorte (contrairement à la majeure partie des habitants de la seigneurie de Blamont), et exempts de la plupart des redevances, hormis la taille, les guets et les chasses.

Remarquons qu'il ne s'agit pas ici d'une "grâce" du prince, contrairement aux franchises à Châtenois et à Dorans, et que les requérants ne sont pas requis d'effectuer un nouveau paiement.
On regrette que les preuves ayant conduit à cette décision de justice ne soient pas détaillées ; peut-être y trouverait-on des informations de nature généalogiques ?

4. Seconde franchise de 1360 (dossier D)

Une seconde franchise (pièce 8) a été conservée dans cette liasse d'archives, pour la même année (1360) et le même lieu : la forêt Hollard de Vandoncourt, pour un second Huguenin, également de Vandoncourt.
L'un comme l'autre sont probablement des charbonniers, qui, pour leurs activités, s'installaient à demeure dans les forêts.

De plus, le contenu de ces franchises est très similaire à celui de l'acte précédent (cette fois, elles sont accordées à celui-ci par Thiébaud V personnellement, alors que les précédentes étaient une confirmation de celles octroyées par son père).

4-1. Transcription et adaptation en français actuel

Je Thiebault sires de Nuefchastel fais savoir à tous que pour plusieurs servises fais à moy per Huguenin dit Broc fil Perrin à fil
Bruilar (Brinlar ?) de Bocourt, et pour trante florins que li diz Huguenin m'ai doney, je ai doner et ouctroie, pour moy & pour
les miens à toziors mais à dit Huguenin et à ses hoirs lour fuaige en la forest de Vandoncourt qui est appellée la
forest monsr. Alart. Item je veul & ordonne que nuls ne gectoit tailes à dit Huguenin s'il n'est à mon ordenance
ou à l'ordenance de mon chestellain de Blanmont. Item assi je quictois le dit Huguenin & ses hoirs de tous cherrois
& de toutes courvées & de toutes autres chacuses et servitutes se je ou mes chestelleins de Blanmont ne lour
comande de boiche. Et toutes les choses dessus escriptes je promat atenir & garder, pour moy & pour les miens
en bonne foy à dit Huguenin & à ses hoirs, senz jamais aler encontre & senz consentir que atres y aille. En tesmoingnaige
de laquelle chose je ai doney à dit Huguenin, pour luy & pour ses hoirs, ces lettres seelles de mon seel pendant,
faictes & donees à Blanmont le jour de feste seint Mathie appostre l'an notre seigneur courant par mil trois cens
et sexante. Ainsin seellees du seel dudit seigneur de Nuefchastel sainz & entier.

Copie et collacion faicte à vray
original par nous.

Moi Thiébaud, sire de Neufchâtel, fais savoir à tous que, pour plusieurs services rendus à moi par Huguenin dit Broc, fils Perrin à fils
Bruilar* de Beaucourt, et pour trente florins que ledit Huguenin m'a donnés, je lui ai accordé et octroyé, pour moi et pour
les miens, pour toujours, la franchise de leur fouage en la forêt de Vandoncourt, qui est appelée la
forêt Hollard. Item je veux et ordonne que nul n'impose la taille audit Huguenin, si ce n'est sur mon ordre
ou sur celui de mon châtelain de Blamont. Item aussi je rends quitte ledit Huguenin et ses hoirs de tous charrois
et de toutes corvées et de toutes autres chacuses et servitudes, si moi ou mes châtelains de Blamont ne les leur
commande de vive voix. Et je promets de tenir et garder tout ce qui précède, pour moi et les miens,
de bonne foi, pour ledit Huguenin et ses hoirs, sans jamais aller à l'encontre et sans consentir que d'autres le fassent. En témoignage
de quoi j'ai donné audit Huguenin, pour lui et ses hoirs, ces lettres scellées de mon seau pendant,
faites et données à Blamont le 21 septembre 1360.
Ainsi scellées du sceau sain et entier dudit seigneur de Neufchâtel.

Copie et collation faite d'après le véritable
original par nous. (suivi de 2 paraphes)

* Huguenin dit Broc est fils de Perrin. Mais quelle est la relation entre Perrin et ce "Bruilar" : le "à fils" pourrait faire penser que Perrin est le fils du fils "Bruilar".

5. Franchise de 1413 (dossier B)

Cette copie est au verso de la pièce 3, et a été écrite de la même main que celles du dossier A.

5-1. Transcription et adaptation en français actuel

Ie Iehan de Florimont, maire de Dele, lieutenant de la 
iustice doudit luei, pour et en nom de tres puissant prince
et seigneur monseigneur d'Ostericfe, fais savoir à tous que l'an
notre seigneur courant mil quatre cent et treze, le mercredi iour de saint
Luc evangeliste, vindrant par devant moy tenant iustice ouverte
pour le fait que s'ensuit, tous et singulers les proudomes et 
habitans de la ville de Saint Disier dou Vaul et dou Mont,
lesquelz avient gaigier Estevenin de Bocourt et Iehan Botenat
son fil, et leur avient pris lour bestes pour ce qu'il les avient
trover sus lour pesturaige. Lesquelz Estevenin et Iehan Bo-
tenat se fermirant de mostrer par lettres qu'il davient avoir lour
pasturaige et buchaige sus les dessusdits de Saint Disier et autrepart
sus les gens de ma seignorie d'Osteriche. Auquel iour dessusdit les
dessusdis Estevenin et Iehan Botenat son fils uont monstrer lour
lettre qu'il avient d'une contesse de Ferratte, et fut leite devant
iustice. En apres les dites lettres ouyes ie demandis ung droit
que à faire en estoit. Et uont rapourter tous les bourgeois
et proudomes qu'estient presens que ladite lettre estoit bone
et soffisant, et que les dessusdis Estevenin et Iehan Botenat
davient avoir lour pasturaige et buchaige sus les dessusdis
de Saint Disier, et sus autres des gens de monseigneur, enfin come ladite
lettre le divisoit. Douquel rapport et iugement lesdis Estevenin
et Iehan Botenat me demandirent lettre de pessemant. Et 
fut rapourter que ie lour davoye doner. En tesmoingnaige de la
quel chose ie Iehan de Florimont dessusdit ai mis mon seel
pandant en ces presentes lettres, faites et donnees, presens Mons. Bourquart
de Bolwir, chevalier, chestelain de Dele, Quelave de Rosemont, tre-
sorié de ma dame d'Osteriche, Iehannenot Iolibois, Girardin
le berbier, Iehan Voillant le maceon, Iehan Chapuis, Iehan
Courcelle, tout bourgeois de Dele, et plusour autres, l'an
et le iour que dessus.

Seellees d'ung seel pendant à une cue imprime en cire verde avec une
effigie d'une fleur et d'une estoile.

Moi Jean de Florimont, maire de Delle, lieutenant de la 
justice dudit lieu, pour et en nom de très puissant prince
et seigneur monseigneur d'Autriche, fais savoir à tous que l'an
notre seigneur courant 1413, le mercredi 18 octobre,
venant par devers moi qui tenais justice ouverte
pour le fait qui s'ensuit, tous et chacun des notables et
habitants de la ville de Saint-Dizier du Val ou du Mont,
lesquels avaient mis à l'amende Estévenin de Beaucourt et Jean Botenat
son fils, et leur avaient pris leurs bêtes parce qu'ils les avaient
trouvées sur leur pâturage. Lesquels Estévenin et Jean Bo-
tenat se faisant forts de démontrer, par une lettre, qu'ils avaient droit de
pâturage de leurs bêtes et de bûcheronnage sur les dessus-dites terres de Saint-Dizier et autres
qui relèvent (a) de la seigneurie d'Autriche. Le dit jour, les
dits Estévenin et Jean Botenat son fils ont montré la
lettre, qu'ils tenaient d'une comtesse de Ferrette, et qui fut lue devant
la justice. Et, après avoir entendu cette lecture, je demandai l'avis de 
la justice sur la sentence à rendre (b). Et tous les bourgeois et notables
présents ont rapporté que ladite lettre était recevable,
que lesdits Estévenin de Beaucourt et Jean Botenat
devaient avoir leurs droits de pâturage et de bûcheronnage sur les dessus-dites
terres de Saint-Dizier, et sur les terres des autres gens de Monseigneur, comme ladite 
lettre le stipulait (c). Duquel rapport et jugement lesdits Estévenin
et Jean Botenat me demandèrent une lettre de passassion (d). Et
il fut dit que je devais le leur donner. En témoignage de
quoi, moi, Jean de Florimont, ai mis mon sceau
pendant sur ces présentes lettres, faites et données en présence de Mons. Bourquard
de Bollwiller (3), chevalier, châtelain de Delle, Clave/Claus de Rosemont, tré-
sorier de ma dame d'Autriche (4), Jehannenot Jolibois, Girardin
le barbier, Jean Voillant le maçon, Jean Chapuis, Jean
Courcelle, tous bourgeois de Delle, et plusieurs autres, l'an 
et le jour que dessus.

Scellées d'un sceau à une queue imprimé en cire verte avec les
effigies d'une fleur et d'une étoile.

(a) comme dans le dossier A, l'expression "sus les gens" est délicate à transcrire. Il s'agit manifestement de terres, mais leur appartenance reste un peu floue, d'où notre interprétation "dépendant de".
(b) "ung droit que à faire en estoit" : nous comprenons "quel droit (sentence) est à faire".
(c) "divisoit" : "devisait" = "disait", ou, ici, "stipulait".
(d) "pessemant" = "passement" : action de passer un acte de justice, passassion.

5-2. Commentaires

La présence de cette pièce (regroupant les "dossiers" A et B) dans les archives héritées du comté de Montbéliard peut surprendre.
En effet, il s'agit de copies assez tardives (XVIème, XVIIème siècle) d'actes concernant des habitants de Beaucourt qui, aux XIVème et XVième siècles, étaient sujets du comté de Ferrette, dont a hérité l'Autriche Antérieure habsbourgeoise, et plus localement de la seigneurie de Delle.

Les habitants de Beaucourt relevaient pour certains de cette seigneurie de Delle, et, pour les autres, de la seigneurie de Blamont et du comté de Montbéliard, comme nous l'avons vu dans les paragraphes précédents. 
Faut-il supposer que des héritiers des premiers bénéficiaires de ces franchises n'étaient plus, à l'époque des copies, sujets de la même seigneurie, et qu'ils ont été amenés à produire au seigneur de Blamont ce document provenant de la seigneurie de Delle ?

Il n'est pas évident de dire qui est le "très puissant prince et seigneur monseigneur d'Autriche" au nom duquel la sentence est prononcée. 1413 est justement une année intermédiaire entre deux périodes : en 1411, décède Léopold IV, mari de Catherine de Bourgogne (voir notre article) ; suite à quoi, Catherine prétend posséder les terres du Sundgau et d'Alsace de son douaire (1er extrait de la note 5). Mais ce droit lui est contesté par Frédéric IV son beau-frère, qui précisément occupera la seigneurie de Delle dés 1415. Il s'agit donc probablement ici de ce dernier, qui finira par reprendre à son profit toutes les terres de l'Autriche Antérieure.

Quant au contenu de cette franchise, il nous permet de préciser celui du dossier A : Estévenin et son fils, qui bénéficient des droits de pâturage et de bûchage sur les terres (sus) dépendant du comté de Blamont, peuvent effectivement faire paître librement leurs bêtes où bon leur semble sur ces territoires. Si, logiquement, ce droit s'étend aussi à celui de débiter du bois dans toutes les forêts de ces finages, l'avantage est conséquent, quand on connait l'importance de ces activités à cette époque. On peut par exemple se référer aux comptes belfortains où l'essentiel des amendes porte sur des pâturages et des bûcheronnages illicites.

On peut également remarquer la manière dont les héritiers des franchises prouvent leur droit :
Cette preuve est double (dans le dossier E, la première étape suffira) :

  • Les héritiers présentent "lour lettre qu'il avient d'une contesse de Ferratte".
  • L'assemblée est appelée à en estimer la validité. Sur quel critère ? Sans doute l'usage, la coutume : les intéressés ont toujours eu ce droit, comme leurs prédécesseurs. Ils doivent donc encore en bénéficier.
6. Confirmation de franchises en 1506 (dossier E)

Il s'agit ici (pièce 10) d'une copie d'un décret passé par Jean-Jacques de Morimont, seigneur engagiste de Belfort et Delle, qui confirme la franchise de deux familles de Beaucourt (les "Francs de Beaucourt") au regard d'une obligation militaire au service du roi (Maximilien Ier, roi des Romains).

Cette copie est de la même main que la pièce 3 :

pièce 3 pièce 10


6-1. Transcription et adaptation en français actuel

Nous Ihan Iaque baron de Morimont et de Belfort,
sieur de Dele en gagiere, faisons scavoir à tous que, comme
puis nagaire nous ayons appellez et fait tirer en cause
à lieu d'Engessey par devant le conseil du Roy, notre sire
et souverain seigneur, Perrin Gressard et Guillasme Pyon
de Bocourt, tant en leurs noms que pour et ès noms de leurs
partaiges, ditz et appellez les franc de Bocourt, nous hommes
et subiegtz à cause de notredite seignoirie de Dele, pour une 
desobeyssance et avoir estez refusant de furnir et envoyer
ung homme à chevalx en la dareire armez que le Roy
notredit sire a fait en ces contés et pays d'Aussais et
de Ferratte, pour tirer et faire garre à monsieur le conte
Palantin, à quoy lesdits Perrin et Guillasme et aussi
leursdits partaiges ont contrarier et sont estez refusant,
disant, maintenant, et affermant, qu'ilz n'y sont en riens
attenuz, selon la teneur de leurs lettres de franchises
que n'en font aucunes mensions, de furnir ledit homme
à cheval, comme dit est, desquelles franchises nous avons
heu vision. Et pour ce, ayant resgard à equité et 
pour certainne cause raisonnable, à ce nous meuvant, nous
sommes desister et despartir totalement de ladite cause et
pousuitte que faisions à l'encontre d'eux, et les voulons
entretenir comment noz bons subiegtz et predicesseur ont
fait ; auxi, moyennant certains despens, que nous avons fait
en allant et venant audit Enguessey à la poursuite de ladite cause,
qui nous ont payé, dont nous tenons contans, et leur pro-
mettons en bonne foy les entretenir, garder et maintenir
dores en avant en leurdites libertez et franchises comment cy
dessus ait fait mencion, sans leur faire aulcungs empes-
chemens ne destourbiers, ne souffrir à eux estre bailler
par nos officiers ne aultres nous subiectz en maniere quelconque,
tout ansin et par la forme et maniere que nous predicesseurs
seigneurs et dames dudit Dele les ont tenuz et entretenuz
cy en arrierre de tout le temps passé. En tesmoingnage
desquelles choses nous avons seeller ces presentes de nous seel
armoye de nous armes, pendant en ces presentes, cy mis
le xvieme du moy de febvrier mil cinqt cens et cinqt.

Seellees d'ung seel pendant & à une cue imprimé en cire
rouge, et ioinct en cire vierge, où sont imprimez les armes de Morimont.

Nous Jean-Jacques baron de Morimont et de Belfort,
sieur de Delle en gagière, faisons savoir à tous que, comme
depuis un certain temps nous avons engagé un procès
à Ensisheim, par devant le conseil du Roi notre sire
et souverain seigneur, à l'encontre de Perrin Gressard et Guillaume Pyon
de Beaucourt, tant en leurs noms que pour et aux noms de leurs
copartages, dits et appelés les Francs de Beaucourt, nos
sujets à cause de notre-dite seigneurie de Delle, pour avoir
désobéi en refusant de fournir et envoyer
un homme à cheval à la dernière armée que le Roi
notre-dit sire a recrutée en ses comté et pays d'Alsace (5) et
de Ferrette, pour faire la guerre au comte
Palatin (6) en quoi lesdits Perrin et Guillaume et aussi 
leurs-dits copartages ont refusé d'obéir, ceux-ci
disant, maintenant et affirmant qu'ils ne sont en rien
obligés, selon la teneur de leurs lettres de franchises,
qui n'en font aucune mention, de fournir ledit homme
à cheval, et que nous avons pu voir lesdites franchises.
Et, pour cela, dans le souci d'équité et 
pour cette cause raisonnable, nous rendant à ces arguments, nous
nous sommes désistés et départis totalement dudit procès et des
poursuites à leur encontre, et nous voulons
les traiter comme nos bons sujets et prédécesseurs l'ont
fait. Aussi, moyennant la compensation des frais que nous avons eu
en allant et revenant audit Ensisheim pour ce-dit procès,
ce qui a été fait à notre satisfaction, nous leur pro-
mettons de bonne foi de les conserver, garder et maintenir
dorénavant en leurs-dites libertés et franchises comme ci-dessus
mentionnées, sans leur en faire aucun empê-
chement ni perturbation, ni admettre que leur en fassent
nos officiers ni nos autres sujets, de quelque manière que ce soit,
comme et de la même manière que nos prédesseurs 
seigneurs et dames dudit Delle les ont traités
auparavant et de tous temps. En témoignage
de quoi nous avons scellé les présentes de notre sceau
armorié de nos armes, pendant à celles-ci, et apposé
le 16 février 1506 (n. st.).

Scellées d'un sceau pendant et à une queue imprimé en cire
rouge, et joint en cire vierge, où sont imprimées les armes de Morimont.

6-2. Commentaires

Un mot d'abord sur le seigneur de Morimont : Jean-Jacques Ier, âgé en 1506 d'environ 26 ans, il n'est encore que l'un des fils du seigneur engagiste de Belfort et Delle, Gaspard de Morimont. On peut retrouver sa généalogie et son portrait ici.

Au verso de cette pièce figure ceci :

Copie transumptée des franchises de Bocourt
1322
1324

Les deux dates attirent évidemment notre attention : ce sont celles du dossier A, auquel le copiste a très probablement voulu relier cet acte. Les familles Gressard et Pyon apparaissent donc comme descendantes ou, du moins, héritières des bénéficiaires de ces franchises. Pour établir leur droit, elles ont présenté le document original (la lettre de franchises), qu'on suppose transmis soigneusement de génération en génération.

Reprenons, en admettant que la mention ci-dessus n'est pas apocryphe, le texte du document de 1324 concernant Estévenin et Cuenin, dits Grangier :
Les bénéficiaires ont les droits d'usage et de pâturage, comme les sujets francs, et sont exemptés des droits de bûcheronnage et des fouages.
C'est la mention finale : "Et sont et seront, eux et leurs hoirs, des sujets francs de nous et aussi de nos hoirs" qui permet aux-dits héritiers d'échapper à l'enrôlement dans la milice, qui était considéré comme une charge servile.

6-3. Les francs de Beaucourt en 1664

Un siècle et demi plus tard, en 1664, on retrouvera une mention des biens des "francs de Beaucourt", dans le terrier rédigé pour le duc de Mazarin.

Page 396, il est précisé que les francs en question sont les seuls habitants (3 chefs de famille) de Beaucourt sujets de la seigneurie de Delle :

(...) et le restans
qui ne sont que trois presentement subiectz, ressortissans
de la seigneurie et justice de Delle, et s'appellant
les Frans de Bocourt, à raison que pour toutes
charges onereuses et seigneurialles qu'ilz debvroyent
debvoir comme les aultres subiectz, de quelles noms
qu'elles se puissent nommer, ilz en sont par privileges
particuliers absoulz et exemptez, moyenant payant
à ladite seigneurie de Dele annuellement au jour de
feste nativité notre seigneur deulx tables de cyre
que font huict livres, au reste, pour le regard de leur
biens proprietaires, et sur les difficultés qui en
pourroyent survenir, sont justiciables, comme ia est
dit, à ladite justice de Dele, et subiectz au tabellioné.

Cette introduction est suivie d'une copie de la franchise de 1324 : "Nos Iehanne de Monbelliard, contesse de Ferrate, (...)"

Elle est conforme à celle qui est transcrite ci-dessus, à la réserve que c'est une autre copie qui a été recopiée, puisque le texte est suivi de la mention du copiste qui suit :

Donné pour copie de la lettre originale 
saine et entiere du seel, et descripte par 
moy Jean Gressard, curé de Dampierre oultre
les Bois, au diocèse de Besançon, notaire
apostolique, et signé de mon seing et nom
accoustumé, et escript de ma main propre
en signe de verité, et tesmoingnage de ceste
dite copie. (7)

À la page 330, dans un chapitre différent du terrier, le maix des "Francs" était déjà mentionné :

S'ensuyvent les maix, maisons, chevaux
vergiers, oyches, curtilz, prelz, champs,
terres arribles et non arribles mouvans
et despendans des Gressard de Bocourt,
aultrement et communement dit et appelé
le Maix ès Franc dudit Bocourt,
lequel maix est franc, excepté du
dixme, et de deux tables de cire
dehues annuellement, et à un chacung jour
de feste Nativité notre seigneur

En 1664, les tenanciers de ce maix sont les Pelluet (Gaspard et les hoirs de Guérin) et Jean Georges Chocquard (peut-être les 3 chefs mentionnés à la page 396).

7. Synthèse sur la teneur des franchises
    droits de pâturage
et bûcheronnage
exemption des fouages corvées franchise personnelle autres exemptions
A 1322-1324 x x   x service du roi, pour les héritiers supposés (E)
C 1360   x sauf exceptions pour les bénéficiaires, totale pour les successeurs en 1611 pour les successeurs en 1611  
D 1360   x sauf exceptions   taille, sauf exception
B 1413, en succession de franchises antérieures x ? ?    


Les actes suivants, nettement plus tardifs, devraient faire l'objet d'un prochain article.


Notes
1. Allusion probable à la question des Quatre Terres, dont la relation à Montbéliard n'était plus alors très claire (R. Billerey).
2. un Etienne Ponnier, procureur fiscal à Héricourt, fonde en 1663 une papeterie à Montbéliard avec la permission du Prince (R. Billerey).
3. Gaspard de Bolwil = Gaspard de Bollwiller : la famille de Bollwiller est une lignée noble de Haute-Alsace, qui détenait des fiefs de l'abbaye de Murbach, des Habsbourg et de l'évêque de Strasbourg. Aux XIVème et XVème siècle, elle exerce les fonctions de Landrichter (justicier) en Haute-Alsace (dict. biographique du T.-de-B.).
D'après Stouff (Catherine de Bourgogne et la féodalité de l'Alsace autrichienne, ou un essai des ducs de Bourgogne pour constituer une seigneurie bourguignonne en Alsace (1411-1426)), "Bourquard, seigneur de Bolhviller, justicier de Haute-Alsace, présidait le plaid général d'automne" en 1423 au Schildberg.
4. Quelave de Rosemont : il s'agit du personnage nommé Claus de Rosemont, dans le Terrier de Catherine de Bourgogne (AD21 B503) :
5. Aussais ou Aussois est une forme ancienne du toponyme "Alsace" (Dictionnaire des noms de lieux de la France, Pierre-Henri Billy · 2021)
Elle est utilisée dans les comptes de la chancellerie de Dijon :
(...) feu de bonne memoire hault & puissant Prince le Duc Leupold de Osteriche, cui Dieu absoille, frere de Nous Frederic & seigneur & mary de Nous Katerine de Bourgoigne, haye assigné à Nous Katerine les deniers de nostre mariage sur les Pays de Aussais et de Sungol (1423).
Également dans des documents de celles d'Épinal :
(...) Item pour ce reprendront les dicts commissaires, (...) chargent aussi autres, tant du pays d'Aussais, de Basle, de Strasbourg et autres (...) (1450)
On remarque cependant qu'à chaque fois, ce "pays" avait une portée plus restreinte que la province d'Alsace, au sens plus moderne.
6. Il est question ici de la "Guerre de Succession de Landshut", ou "de Basse-Bavière".
La Bavière était divisée en deux parties, pour des lignées cousines des Wittelsbach, qui avaient anciennement passé un accord successoral. Le duc à la tête de la Bavière-Landshut, Georges le Riche, n'ayant pas d'héritier mâle, devait laisser son duché à la lignée cousine de Bavière-Munich. Mais il voulut transmettre son duché à sa fille, qui avait épousé Ruprecht, fils du comte palatin du Rhin Philippe l'Ingénu.
Ce dernier entama des hostilités pour soutenir les Bavière-Landshut, mais fut mis au ban avec son fils par l'empereur Maximilien.
Le conflit se termina rapidement par le décès de Ruprecht et de sa femme, par maladie.
L'empereur conclut le conflit par un arbitrage, par lequel l'essentiel du duché revint à la Bavière-Munich, sauf une petite partie concédée aux enfants de Ruprecht.
7. Ce paragraphe n'est pas contemporain au terrier, car, en 1664, il n'y a plus de curé catholique à Dampierre-les-Bois, principauté de Montbéliard.
Cet article est publié par LISA sous la seule responsabilité de son auteur.  
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