Celle-ci, pour Châtenois, renferme 6 dossiers, que nous examinons ici en détail.
Nous essaierons de dégager les tenants et aboutissants de ces affranchissements, et de répondre à l'occasion à l'interrogation : quel était l'intérêt pour les parties de mettre, de commun accord, un terme à la condition de mainmorte ? On verra que la question est toujours financière ou économique, et que la balance des avantages est assez variable.
Ce document est un beau parchemin (pièce 66 de la liasse) avec queue et cachet en cire rouge, malheureusement peu lisible sur notre reproduction.
Je Jehan de Grantmont, escuier, seigneur dudit lieu, Chastillon Guiotte, Roiches sur Lunette, Chaistenoy,
Dambenoy et de Nommay, scavoir faiz à tous que j'ay receu l'humble supplicacion et requeste de Pierre Voullehart alias Gray dudit
Chaistenoy, mon homme et subiect originel en condicion serve et mainmortable, contenant que, tant luy que feu Jehan Voullehart son
père, dont il est yssu, à cause de madite seignorie dudit Chaistenoy d'ancienneté, ont esté, eulx, leurs meix et heritages per eulx tenuz et
possedez rieres et soubz ladite seignorie de Chaistenoy, chargez et affectz de servitute mainmortable et autres charges et ypotheques,
ainsy et pareillement que sont mes autres hommes et subiectz de ladicte seignorie en condition serve et mainmortable, de laquelle
icelluy suppliant desirant soy purger, exompter et nettier, et doiresenavant vivre et estre nommer tenu et reputé franc bourgeois
et homme liege, ainsi et pareillement comme sont et ont accoustume faire francs hommes bourgeois et lieges, tant ès conté de
Bourgoingne, Montbliart que ailleurs. Dès pieça il a laissé la communion d'aulcungs ses parsonniers, tenementiers et residans
sur le meix causant ladite mainmorte, et est allé faire residance audit Montbliart soubz espoir d'obtenir lectres de liberté et affranchissement
pour y vivre et resider, luy et sa posterité née et à naistre, ainsi et per la forme et maniere que font les francs bourgeois et
lieges d'illec et ailleurs où que bon luy sembleroit en lieux francs et de franche condicion. Pour ces causes et raisons me
requerant et très humblement suppliant, luy vouloir, moiennant certaine somme de deniers que pour ce il m'a presenté, concedé et
ouctroyé ledit affranchissement, tollir, oster et lever ladite servitude maimortable sur luy et sadite posterité née et à naistre. À quoy
inclinant pour certainnes causes justes et raisonnables à ce me meuvant, pour moy, mes hoirs et successeurs que par le temps advenir
seront seigneurs dudit Chaistenoy et que de moy auront cause, j'ay declaré et tenu, déclare et tiens per ces presentes des...,
pour tout le temps futeur ledict suppliant, pour luy et sadite posterité née et à naistre homme franc, bourgeois et liege de
telle condicion et nature que sont les francs bourgeois, tant dudit conté de bourgoingne que dudit Montbliart, ensemble et avec
tous ses biens, tant heritages immeubles que biens meubles, per luy tenuz et possedez et à luy appertenans, seans et estans,
tant oudit conté de Montbliart que ailleurs, reservé seullement les heritages et maix audit suppliant appartenans seans, tant
audit Chaistenoy que ès finage et territoire d'illec meuvant estans et deppendans de ladite servitude mainmortable, lesquelx
nonobstant ledit present affranchissement demeuront envers moy affectz chargez et ypothequez de leur servitutes mainmortables
et autres succides comme tailles, censes, courvées et autres redevances, luy levant et ostant quant au surplus sur ses
parsonnes et biens presens et futeurs et sur sadite posterité née et à naistre toute servitute mainmortable dont il peult estre
chargé envers moy, en luy permectant de doiresenavant jouyr de toutes libertez et franchises dont gens et bourgeois
francs ont accoustumé user, et ce pour parmy et moiennant le pris et somme de huit escuz d'or au soleil de bon or et
juste poid que pour ce j'en ayes et receu dudit suppliant, et dont je me suis tenu contant, tellement que je l'en ay quicté
et quicte, pour luy et ses hoirs, promectant en bonne foy, pour moy et mesdits hoirs avoir et tenir pour ferme, estable
et agreable, perpetuelment et à jamais cestuy present et perpetuel affranchissement, et tout le contenu en cesdites
lectres, sans jamais aller au contraire en aucune maniere que ce soit, soubz l'obligation de tous et singuliers mes biens
presens et futeurs. En tesmoingnage de verité desquelles choses j'ay scellé ces presentes de mon seel armoyé de mes
armes, et icelles fait signer par le notaire soubscript. Données et passées au lieu de Fetigny le septieme jour du
mois d'aoust l'an mil cinq cens et vingtneufz, presens messires Aymé Vorrey, François Mayre
prebstres chappellains dudit Fetigny, honnorable homme Hugues Poutier notaire publique et autres afin
à ce appellez et requis.
Moi, Jean de Grammont, écuyer, seigneur dudit lieu, de Châtillon-Guyotte, Roche-sur-Linotte, Châtenois,
Dambenois et Nommay, fais savoir à tous que j'ai reçu l'humble supplication et requête de Pierre Voullehart alias Gray dudit
Châtenois, mon homme et sujet originel de condition serve et mainmortable, contenant que, tant lui que feu Jean Voullehart son
père, dont il est issu, à cause de madite seigneurie dudit Châtenois d'ancienneté, ont été, lui, leurs maix et héritages tenus par eux et
possédés en la châtellenie de Châtenois, chargés et affecté de servitude mainmortable et d'autres charges et hypothèques,
ainsi et pareillement à mes autres hommes et sujets de ladite seigneurie de condition serve et mainmortable, de laquelle
le suppliant désire se purger, s'exempter et se purifier, et dorénavant vivre et être réputé et tenu pour franc bourgeois
et homme libre, ainsi et comme sont accoutumés être et faire les francs bourgeois et libres, tant aux comté de
Bourgogne, Montbéliard et ailleurs. Depuis un certain temps il a quitté la communion d'avec ses copartages et co-tenanciers
du maix causant ladite mainmorte, et est allé faire résidence audit Montbéliard dans l'espoir d'y obtenir des lettres de liberté et affranchissement
pour y vivre et résider, lui et sa postérité née et à naître, de la même manière que les autres francs bourgeoiset
hommes libres du lieu ou d'autres lieux de franche condition où bon il lui semblera aller. Pour ces causes et raisons, il m'a
requis et très humblement supplié bien vouloir, moyennant une certaine somme qu'il m'a présentée, lui concéder et
octroyé ledit affranchissement, enlever, ôter et lever ladite servitude mainmortable de lui et de sadite postérité. À quoi
inclinant, pour les causes justes et raisonnables m'y incitant, pour moi, mes hoirs et successeurs qui à l'avenir
seront seigneurs dudit Châtenois et qui tiendront de moi, j'ai déclaré et tenu, déclare et tiens par ces présentes des...,
désormais ledit suppliant et sa postérité comme hommes francs, bourgeois et libre de
la même manière que les francs bourgeois des comtés de Bourgogne et Montbéliard, de même que
tous ses biens, terres, immeubles et meubles, qu'il possède, autant
audit comté de Montbéliard qu'ailleurs, à la seule réserve des terres et maix lui appartenant
audit Châtenois, sur son territoire et finage, mouvant et dépendant de ladite servitude mainmortable, lesquels,
nonobstant ledit présent affranchissement demeureront envers moi affectés, chargés et hypothéqués de leurs servitudes mainmortables
et autres subsides comme les tailles, censes, corvées et autres redevances, lui levant et ôtant par ailleurs, sur ses
personnes et biens présents et futurs et sur sadite postérité, toute servitude mainmortable dont il peut être
chargé envers moi, et lui permettant de dorénavant jouir de toutes libertés et franchises dont les gens et bourgeois
francs sont accoutumés d'user, et ce pour et moyennant le prix et somme de huit écus soleil de bon or et
juste poids, que pour ce j'ai reçus dudit suppliant, et dont je me suis tenu content, si bien que je l'en tiens
quitte, lui et ses hoirs, promettant de bonne foi, pour moi et mesdits hoirs, tenir ferme, stable
et agréable, perpétuellement et à jamais cet affranchissement perpétuel, et tout le contenu de ces
lettres, sans jamais y déroger en aucune manière, sous l'obligation de tous et chacun de mes biens
présents et futurs. En témoignage d'authenticité j'ai scellé ces présentes de mon sceau armorié de mes
armes, et les ai faites signer par le notaire souscrit. Données et passées à Fétigny le sept
août 1529, en la présence de messires Aimé Vorrey et François Mayre,
prêtres chapelains dudit Fétigny, d'honorable homme Hugues Poutier, notaire public et d'autres à cette fin
appelés et requis.
Les sires de Grammont
D'après les mémoires de la SEM de 1912,
"Il y eut à Nommay, dés le XVème siècle, deux fiefs, dont l'un fut possédé par les sires de Grammont : il comprenait un château-fort, un moulin, des prés, des champs, et s'étendait sur les villages de Dambenois, Brognard, Châtenois et Vourvenans. Une partie de ce fief fut cédée à Henri de Franquemont vers 1440. Le duc Frédéric reprit le fief des Grammont en 1597 et opéra la réunion au comté de Montbéliard."
L'auteur de cette lettre de franchise, résidant à Fétigny, est probablement Jean 1er, chambellan de l'archiduc Philippe le Beau (1), et mari de Guillemette de Fétigny (39240), ou, s'il est décédé en 1529, leur fils Jean II le Jeune, né vers 1510.
Les sires de Grammont étaient vassaux des comtes de Montbéliard, qui finirent par reprendre leur fief, comme tous ceux de leurs vassaux laïcs (voir aussi ce qui concerne l'abbaye de Belchamps dans les franchises de Dorans).
Contenu de la franchise
Comme dans les articles précédents, cherchons à préciser les avantages acquis par le "suppliant" en contrepartie du paiement de son affranchissement, sur les points suivants :
- franchise personnelle (de corps) : elle est acquise clairement auprès du seigneur de Grammont, qui indique plusieurs fois que le bénéficiaire est "franc", "bourgeois", "liege / libre". Ce qui peut lui permettre par exemple de quitter sa tenure (son maix) : mais il l'a déjà fait (Dès pieça il a laissé la communion d'aulcungs ses parsonniers...) sans apparemment subir les foudres de son seigneur.
- franchise des contributions sur les biens : sur ce point, on est surpris de lire que le sire de Grammont l'accorde généreusement, mais seulement pour les biens qui... ne relèvent pas de son fief, et sur lesquels il n'a évidemment rien à percevoir ; sur les autres, Pierre Voullehart reste assujetti aux "servitudes mainmortables et autres subsides".
- pour le restant, nous avons la phrase plutôt vague : "... lui levant et ôtant par ailleurs (au surplus), sur ses personnes et biens présents et futurs et sur sadite postérité, toute servitude mainmortable dont il peut être chargé envers moi".
Sur les biens -relevant du seigneur de Grammont- de quelle servitude fiscale l'intéressé est-il précisément affranchi ? Probablement de la mainmorte sur la succession en cas d'absence d'héritiers direct (que Voullehart semble déjà avoir).
En somme, les 8 écus payés par cet homme qui semble s'être débattu pour échapper à son statut (à la "macule servile") ne paraissent pas lui rapporter des avantages considérables.
On peut au delà s'interroger sur les conséquences de cette franchise personnelle, en tant que sujet du sire de Grammont, sur le statut du bénéficiaire au regard de son nouveau seigneur, le comte de Montbéliard, s'il a choisi de continuer y résider dans cette ville (dans le paragraphe suivant on aura un exemple de ces conséquences). Nous ignorons s'il y a eu transmission de cet affranchissement à la chancellerie montbéliardaise ; et, si ce fut le cas, comme dans l'article précédent, le nouvel affranchi a-t-il eu la possibilité d'en obtenir (contre paiement le cas échéant) l'extension au comté.
Nous n'avons pas pu trouver trace de cette famille à Montbéliard (où les archives de l'état-civil sont conservées depuis 1575).
À Châtenois, on la retrouve sous le nom de Vuillehard, Vuillard, Voillard etc. (montre d'armes, baptêmes, actes notariaux), dés 1570.
Ce dossier contient 14 pièces ; les pièces constituant une même affaire (requête, sentence, ...) sont souvent brochées l'une dans l'autre.
La première pièce conservée est une copie d'une lettre de franchise de 1562. (pièce 63)
Les doyen et chappitre de l'eglise collegiale de Montbeliard savoir faisons que, des vouloirs et consentement de nos très honnorés seigneurs, gouverneur, bailly, conseillers et officiers audit Montbeliard, pour très haut, illustre, puissant seigneur et prince Wolffgang, par la grace de Dieu Palatin au Rhin, duc de Baviere, comte de Feldentz, Christoffle par la mesme grace de Dieu duc de Wurttemberg et Teck, comte de Montbeliard, et Philippe comte de Hanaw, seigneur de Liechtemberg, comme tuteurs curateurs et en ce nom de hault puissant prince et seigneur Frideric comte desdits Wurttemberg et dudit Montbeliard, successeur fondateur, collateur de laditte eglise prioré de Chastenoy, biens & revenus en despendans,
Arrêtons-nous un instant : ici le seigneur n'est pas le comte, mais le chapitre de l'église collégiale de Montbéliard, qui possède le prieuré de Châtenois, dont dépend un maix mainmortable dont les intéressés sont tenanciers, en partie (ci-dessous : "qu'ils tiennent & possedent dudit chappitre à cause dudit prioré de Chastenoy").
Mais l'autonomie du chapitre est contrainte ; pour éviter des contestations, il doit se référer au comte, qui est son suzerain, et en même temps collateur dudit prieuré.
Le comte est alors Frédéric ; en 1562, il a 5 ans, et son père Georges Ier est mort depuis 4 ans :
Généalogie simplifiée des comtes de Montbéliard et comtes puis ducs de Wurtemberg de 1396 à 1608. |
Au nom de Frédéric, ce sont donc ses tuteurs qui gouvernent le comté.
D'abord son cousin germain Christophe, duc de Wurtemberg, puis Wolfgang de Deux-Ponts, que nous avons déjà rencontré dans d'autres articles, relativement en 1569, à l'occasion d'une expédition destinée à soutenir ses coreligionnaires luthériens, où il perdra la vie (cité avant le précédent à cause de la prééminence de ses titres). Puis Philippe V de Hanau-Lichtenberg, seigneur alsacien.
Christophe, duc de Wurtemberg, Kunsthistorisches Museum, Public domain, via Wikimedia Commons Wolfgang de Deux-Ponts, unbekannter Künstler, Public domain, via Wikimedia Commons Philippe de Hanau, par Buchsweiler, CC BY-SA 3.0, via Wikimedia Commons |
Poursuivons la lecture de cet acte de franchise :
... à l'humble supplication et requeste de Claude Melliere de Chastenoy, Perrin Melliere demeurant à Nommay, Claudot Melliere dudit Chastenoy, frères, GrosJean et Pierrot Melliere et Jean Melliere le jeune, aussi frères demeurant à Betoncourt, Jeannette Melliere, femme Nicolas Clerc de Dorans, et de Alix Melliere femme Guillaume Vuillin bourgeois dudit Montbeliard, conjointement et divisement iceux et chacun d'eux, pour eux, leurs hoirs, posterités nez et à naistre et pour et à tousjoursmais perpetuellement, ensemble et avec tous les meix, maisons, tenements et heritages cy embas declarez et speciffiez, qu'ils tiennent & possedent dudit chappitre à cause dudit prioré de Chastenoy, avons affranchis, exemptez, quictez, remis & deschargez, et par les presentes affranchissons, exemptons, quictons, remettons et deschargeons de toutes macules, charges et servitudes de mainmortes et serve condition réelles comme personnelles, en quoy lesdits Melliere et lesdits meix, heritages pourroient estre affectez et chargez envers ledit chappitre, soit en vertu d'accensement fait cy devant au nom dudit chappitre par fut Perrin Melliere, predecesseur desdits Melliere le quinziesme jour de septembre l'an mil cinq cents & douze, selon les lettres pour ce en faites, signé de G. Pennio que aultrement, en faceon ou maniere que ce soit, faisant et déclairant lesdits Mellier, pour eux, leurdits hoirs et posteritez nez et à naistre, ensemble ledit heritage, francz et de franche condition (...) sans aucune chose excepter ny reserver,...
Tous les requérants appartiennent à la famille Melliere, largement et anciennement présente dans le secteur de Châtenois. Hors de ces actes, on la trouve dés 1566 à travers des actes notariaux, et, comme l'état-civil de cette paroisse est très ancien, à partir de 1570 dans des baptêmes.
On peut en particulier se référer au travail réalisé par R. Billerey pour l'enquête de 1569 sur les ravages causés par le passage du duc de Deux-Ponts, dont nous avons parlé ci-dessus, pour le village de Châtenois.
Parmi les personnes qui déclarent des dommages, on y trouve les nommés Gros Jean Melliere, Claude, Gros Claudat et Claudat Melliere. Recoupant sans doute des personnes citées ci-dessus.
Nous venons de voir les avantages concédés aux requérants dés le début de la lettre : on dit leur accorder la franchise totale des servitudes personnelles et des charges fiscales. Ils semblent à présent totalement affranchis.
Mais... passons aux contreparties :
... et ce moyennant la cense et rente fonciere, annuelle et perpetuelle de cinquante sols estevenant et ung bichot une quarte, par moitié froment et avesne bon, leal et marchand, monnoye et mesure dudit Montbeliard, et une gelline que lesdits Melliere, leurs hoirs (...) seront tenus rendre, payer et delivrer à leurs frais, missions & despens audit Montbeliard à celuy ou ceux qui seront recepveur dudit chappitre et au proffit d'icelluy, chacun an, à chacun jour de feste Saint Martin d'hiver, selon que ja paravant ils estoient tenus en vertu du devandit acenssement (...)
et encore (page suivante) :
... et moyennant aussi que lesdits meix, maisons et heritages et chacune pieces d'iceulx demeurent pour et à tousjoursmais perpetuellement chargés et affectés enver ledit chappitre des lods et retenue, à scavoir, quand à laditte retenue, toutes et quantefois ledit meix et heritage d'icelluy se vendra ou allienera par vendage, transport , cession, eschange ou contrepois de meubles ou immeubles à aultres que ceulx quy sont compris en ceste, ledit chappitre a (blanc) de retenue, dont il pourra user dans l'an et jour après (...) en rendant à celuy ou ceux qu'il appartiendra le pris en deniers desdits vendage, allienation et transfert, ou bien la valeur des contreschange et contrepois, ensemble de tous frais raisonnable ; et aussi pour ledit lots et consentement de tels vendages, cession, transport, eschange & contrepois, ledit chappitre devra avoir à son proffit de vingt deniers l'ung, monnoye estevenans dudit Montbeliard, lesdits meix, maisons et heritages ou portion d'iceluy pourront valoir ou estre vendus, payables pour une fois par celuy ou ceux à quy (il) sera ainsy vendus, eschangés ou allienés, en cas touteffois que ledit chappitre ne vouldroit user dudit droit de retenue et non aultrement,
Pour résumer, en ce qui concerne le maix mainmortable :
- les requérants restent assujettis à une taxe annuelle en argent et nature,
- en cas de vente ou échange d'un lot issu du maix, le chapitre percevra 20 deniers par lot, et aura le droit pendant un an d'exercer son droit de "retenue", c'est à dire de reprendre pour lui le lot vendu ou échangé, sous réserve de rembourser l'acquéreur (équivalent au retrait lignager pour les parents des vendeurs d'un bien non mainmortable).
Ajoutons encore (vue suivante), afin de ne rien négliger des droits seigneuriaux :
... le tout touttefois sans prejudice d'aultres vingt cinq sols et douze quartes par moitié froment et avesne (...) audit chappitre annuellement et perpetuellement, d'aultre cense par les heritiers furent Perrin Richard & Jean Meilliere, & trois gelines, item de dix huit sols estevenans et quatre gelines dehue aussi par lesdits Meilliere au divisin (?) de la cure dudit Montbeliard à cause d'une admodiation et pour le Meix Sergent, et aussyi sans deroger ny prejudicier à tous droicts de tabellionnages, souverainnetés et droictures, seigneuries que la seigneurie de Belfort peult avoir sur lesdits Meilliere et leur meix et heritages, et aussy le droict d'autruy saufz (...)
Et, enfin, le paiement de la franchise :
Et moyennant la somme de quarante escus d'or en or et de juste pois que lesdits Melliere supplians en ont payés et delivrés realement et de fait à Mre Guillaume Jussey, recepveur dudit chappitre (...)
L'acte se termine par :
(...) fait audit Montbeliard en la maison où demeure Monsieur le baillif Pangratz de Ruß le dix huitiesme jour de juin l'an quinze cents soixante deux, pour ledit sieur baillif, Hector Voglman, vice chancelier, et Charles Mercier, procureur, maistre Anthoinne Bonnier, recepveur, Jean Thavel, sergent, et Claude Soiron, cousturier, bourgeois audit Montbeliard, tesmoings requis, signé par ordonnance L. Binninger, secretaire (...)
et par la validation du seigneur lui-même, suivie de la mention du copiste Megnin en 1641.
En conclusion, on constate qu'au delà des déclarations formelles de franchise totale, il est surtout fait mention des charges qui demeurent dues pas les requérants, et cela malgré un prix plutôt élevé.
Nous verrons dans les autres actes du dossier quelles ont pu être les suites de cet affranchissement.
La pièce 63 est brochée avec la pièce 64, qui est une copie de 1698, pour Jean Nicolas Meilliere de Bermont.
Elle est suivie des pièces 65 et 66, brochées ensemble, datant de mars et avril 1567, qui apparaissent comme réponses (en allemand) du duc Christophe ; la première est signée du vice-chancelier Hector Voglman.
Viennent ensuite plusieurs pièces concernant les éminages de Montbéliard, qui sont les taxes sur la vente des grains, amodiés aux sieurs Richard Haye et Pierre Chastignard.
Nous nous limiterons aux grandes lignes de ces pièces, en faisant ressortir les points précisant les franchises.
La pièce 67 est l'exposé fait par les représentants des amodiateurs des éminages de Montbéliard à l'encontre des Meilliere, le 20 avril 1586 :
Attendu que, par la vision des (...) lettres de franchise il conste lesdits Meilliere deffendeurs estre afranchis seulement des charges et prestations esquelles ilz estoyent precedamment attenus et affectez envers le chapitre de Montbeliard que les lors seigneurs curateurs testamentaires de notre redoubté prince et seigneur Friderich comte de Wirtemberg Montbeliard etc. ont donné consentement audit affranchissement au regard des charges et servitudes deues audit chapitre, que les esminages dudit Montbeliard pour le tout meuvent et deppendent du domaine de notre redoubté prince (...)
Et les plaignants de conclure, somme toute assez logiquement, que les Meilliere ne peuvent être exemptés des droits d'éminage de Montbéliard.
Suit la pièce 68 qui est la requête déposée par les membres de la famille Meillière, ou leurs héritiers, le 3 mai 1586, en appel d'une sentence du 28 avril, du conseil du comté, qui a donné gain de cause aux amodiateurs, et condamné les Melliere à payer les éminages :
Exposent en toute humilité Perrin Mesliere, Jean, Thibault et Grosjean Mesliere avec leurs consors, qui sont originellement de la terre de Belfort, gens francs et de franche condition, comme aussi les meix et heritaiges par eux portés et possedés, sont tenus en droit de franchise et libertés don ilz ont joi [joui] par le faict de leuz ayeulx, bisayeulx et predecesseurs par temps immemorial, et encours lesdits supplians en joissent paisiblement, specialement ont tenu et à present possedent, par accense legitimement fait, un meix meuvent et dependent [mouvant et dépendant] du chapitre dudit Montbeliard, à la charge de certaine prestation annuelle designée au bail et lettres dudit accense qu'ils ont tousiours paiées, sans qu'ilz soient tenus à aucune servitude, ni curvé [corvée ?] servile, ains faicts (?) francz et libres comme les francs bourgeois des villes dudit Montbeliard et Belfort, qui joissent de vraie franchise, immunité et exemption de la charge d'heminaige acostumée levée par les fermiers et accenseurs dudit droit appartenant à votre excellence sur aultres voz subiectz.
Neanmoins, puis quelques temps en ça, Richard Haye et Pierre Chastignard, admodiateurs, ont suscité procès contre lesdits Mesliere supplians pour avoir paiement dudit droit d'heminaige, à quoy ont respondu et soustenu qu'ilz n'y estoient tenus, veue et considerée leurdites franchise et liberté, et que oncques lesdits predesseurs ni eux n'avoient esté inquietés ni actionnés dudit faict, aussi que les grains vendus avoient esté delivrés au lieu de Chastenoi, tellement que lesdits admodiateurs estoient debitables de leurs fons (?).
Sur quoy (...) messieurs du conseil ont faict declaration que leurdite franchise ne se pouvoit extendre ni rapporter audit droit d'heminaige, lequel meuvoit entierement du domaine de votre excellence, et que lesdits supplians paieroient les casses auxdits demandeurs, des grains par eux vendus audit Montbeliard (...) si bien que l'interpretation faicte par noz sieurs du conseil en votre chancellerie, torne entierement à l'extinction et ...ersion de la liberté desdits supplians, et crainent grandement qu'à l'occasion et sur le contenu de la sentence donnée, les sieurs d'Anguessei de nouveau ne facent action contre eux, par leur procureur fiscal, pour les assubiectir à condition onereuse et servile, don ilz ont remporté très expresse exemption par transaction passée solennellement des autorités, voloir et consentement de noz très honorés princes et sieurs messieurs voz curateurz, lors institués et administrans. Laquelle sentence, rendue le 28ème du mois d'avril dernier, est de tel prejudice auxdits supplians, qu'ilz se verroient decheus et privés de la liberté à eux accordée, don ilz soffrieroient et porteroient ... interest.
Le litige entre les Meillière et les fermiers de l'éminage butte évidemment sur le manque de précision de la franchise, que nous relevions ci-dessus.
Et, plus généralement, sur la notion de franchise personnelle. Celle-ci ruisselle-t-elle sur les biens du bénéficiaire ?
Ici, il s'agit de productions (grains) provenant d'un bien concédé après l'obtention de la franchise, sur un territoire n'appartenant pas à l'autorité l'ayant accordée (le chapitre).
Il y a manifestement place à contestation, d'un côté comme de l'autre. Et ce type de débat était monnaie courante sous l'ancien régime.
N'ayant guère d'arguments de fond (hormis la coutume et l'usage), les suppliants ajoutent un élément auquel ils semblent accorder beaucoup de poids : si la décision de leur appliquer le droit d'éminage était confirmée, le comté de Belfort (où ils ont certainement encore des possessions) - les sieurs d'Anguessei - pourrait en tirer prétexte pour les réduire à la condition servile (mainmortable), ce qui leur causerait un immense préjudice.
À noter, dans la marge de la requête, une mention semblant émaner du comte lui-même, qui semble plutôt favorable aux demandeurs, à destination du conseil, se terminant par cette curieuse phrase :
Regarderont comme l'on pourra maintenir les suppliantz par moyens licites à ce que [je] ne soy plus oultre molestez en notre maladie. Att(esté ?) en nottre chasteau de Montbeliart ce 6ème may 1586.
Enfin, la pièce 69, brochée dans la précédente, est une requête adressée au comte par le procureur des Meillere, le 26 mai, se concluant par :
(...) et les maintenir en leurs libertez et franchises comme du passé, et pour ce prieront dieu le createur pour les honneurs prosperitée de votre excellance & de toute votre maison.
La réponse du comte, ou plutôt de son secrétariat, figure en marge du document :
Son excellence approuve les lettres de franchises des suplians, en les exemptant de toutes servitudes en quoy ils peuvent estre affectez, soit d'esminaige ou aultrement, les rendant francs comme l'ung des bourgeois de la ville de Montbeliard, riere le contey d'illec, en ordonnant au secretaire d'estat d'expedier auxdits suplians lettres de confirmation comme en tel cas appartient, moyennant dix escus [voir ci-dessous la conversion dans les monnaies locales] qu'ilz payeront au recepveur de Monbeliard, pour une fois ; aussi a charge de satisfaire aux censes et conditions portez par lesdites lettres de franchise ; at(testé ?) au chasteau de Montbeliard le penultieme de may 1586.
Cet décret est conclu par le paraphe du comte :
Face donc à un problème à peu près insoluble, le comte, apparemment souffrant, tranche rapidement en accédant à la demande de ses sujets ; sans oublier le "petit" paiement habituel.
Peu de temps après avoir été confirmés dans leurs libertés pour les éminages, la famille Mellière revient à la charge pour une redevance prélevée par les "receveurs (de la seigneurie) de Blamont" (pièces 70 à 71) :
Très illustre prince, les Mellieres de Chatenoy remontrent à vostre excellence qu'ilz sont originelz subiectz de Belfort, residant riere la seigneurie d'illec, et n'ont aulcungs biens riere voz obeissances [ce qui est un peu contradictoire avec ce qui précède], ce que touteffois ilz desireroient, neanlmoings les recepveurs de Blanmont leur demandent et font payer pour votredite excellence annuellement une livre de cire et deux chappons, dont ils payent par an ung franc, ne scavent d'où telles redevances viennent ny despendent, pour quoy ilz suplient vostre excellence les affranchir et esempter de ladite redevance, moyennant quelque benigne somme d'argent pour une fois (...) le 10ème de jung 1586.
Il s'agit ici de redevances en nature. Les chappons, gélines, cires (ou même bois de chauffage) constituaient, indépendamment des parts de récoltes, des redevances seigneuriales courantes, à une époque ancienne où l'argent liquide était rare.
On remarque bien sûr que celles-ci, en cette fin du XVIème siècle, avaient été converties en quantité monétaire : un franc.
Là encore, la demande est satisfaite par le prince, mais à des conditions peut-être moins favorables (bénignes) pour les requérants qu'ils ne le prévoyaient (réponse en marge, ainsi que dans la pièce 71) :
(...) affranchissons et alliberons les supliantz des cyre et chapons cy contenuz, moyennant la somme de trante escus d'or, qu'ilz payeront content à notre recepveur dudit Blanmont, lesquelx il rapliquera incontinant à cense à notre prouffit, le tout à caution suffisante. Aussi à charge que lesdits supliantz seront tenuz de payer ce qu'est escheu et deu du passé, ... en notre chasteau de Montbeliart ce 2e de janvier 1587.
Tentons une conversion monétaire pour y voir un peu plus clair : un écu d'or (écu d'Henri III) valait 3 livres tournois (en 1577, et sa valeur avait peu changé 25 ans plus tard). Une livre tournois valait une livre de Bourgogne et demi, donc un écu d'or valait 4,5 livres de Bourgogne, soit 4,5 francs de Bourgogne, la livre et le franc étant équivalents. Toutefois, à Montbéliard, ce n'était pas le franc de Bourgogne (franc "fort") qui était en usage, mais le franc "faible", qui valait 0,93 francs fort. Ce qui nous donne l'écu d'or à environ 4,84 francs de Montbéliard.
Or, voici la famille contrainte à payer 30 écus d'or, ce qui nous donne plus de 146 francs, et ce pour échapper à une redevance d'un franc par an. Ce qui fait cher le chapon !
Si notre calcul est exact, elle sera rentrée dans ses frais... en l'année 1732 !
Notons qu'ici encore ce paiement est reçu directement par le prince, sans subir une ponction de la part des amodiateurs, ce qui est un avantage pour lui. Et, par ailleurs, qu'il n'entend pas l'utiliser pour ses dépenses courantes, mais le convertit sagement en cense à son prouffit.
Dans la pièce 74, les amodiateurs des éminages reviennent à la charge contre les héritiers des Meilliere, à savoir Hugues Meilliere, Richard Meilliere et Claude Meilliere, tous de Châtenois, défendeurs.
Le motif de la plainte n'apparaît pas dans le document, mais cette requête reçoit encore la même réponse, après citation des bénéficiaires des franchises de 1562 :
(...) l'on maintient lesdits deffendeurs, comme estant de la posterité et les descendans des avant nommés, en ladite franchise par eulx alleguée et pretendue, de laquelle ils jouyront à l'advenir, eux et leurs descendans (...) et aux charges et conditions y mentionnées, ausquelles ils seront tenus de satisfaire.
Suivent les détails des rentes dues au chapitre de Montbéliard et au "divisin" de la cure de Montbéliard (cf. Contenu des franchises), que les défendeurs sont condamnés à payer. Il leur est aussi rappelé l'interdiction de vendre une quelconque partie des maix et accensements concernés sans respecter les obligations contenues dans lesdites franchises. Mais ils échappent également à toute amende.
La pièce 73 est également une plainte des amodiateurs des éminages, en 1642, contre un nommé Antoine Lardier de Châtenois, mais le lien avec les Meilliere n'est pas explicite, hormis la mention "les Mesliere de Chastenoy" portée au recto du papier.
Ledit Lardier affirme ne devoir aucun droit d'éminage sur 64 quartes d'épeautre qu'il vient de vendre, vu les terres dont elles proviennent, mais sans préciser l'origine de cette franchise.
La sentence condamne cette fois les défendeurs à verser ce qui leur seroit esté enjoint & ordonné, et ce deans les six semaines.
La dernière pièce du dossier fournit un lien plus net entre la famille Lardier et la franchise Meilliere.
Il s'agit cette fois d'une requête portée auprès du duc Eberhard Louis, le 22 mars 1724, par Joseph Taclet et Jean Pierre Lardier et consors, affirmant qu'ils sont exempts de tous droits d'éminage, pontenage (droit de péage qui se perçoit au passage d'un pont) et rouage (éage sur les voitures chargées de marchandises), pour les terres qu'ils tiennent, dépendant du chapitre et du prieuré de Châtenois, provenant du maix des Melliere.
Cette exemption a été à nouveau transgressée par les amodiateurs des éminages, et ils demandent à la justice seigneuriale de confirmer et défendre leurs franchises, conformément aux lettres à eux accordées, ou du moins à leurs autheurs le 18 juin 1562.
La réponse de la chancellerie montbéliardaise n'a pas été conservée, du moins dans ce dossier.
Ce dernier dossier ne contient pas d'acte de franchise, mais offre un point de vue concret sur la question de la mainmorte.
La pièce 77 est une requête présentée par Jacques Bretvy de Sainte-Suzanne, que nous transcrivons intégralement :
Supplie humblement Jacques Bretvy de Ste Suzanne, tant en son nom que de ses frère & soeur & remonstre, disant :
Que feue Thevenotte Donzel sa tante, ayant esté mariée au lieu de Chastenoy, elle auroit conferé tous & un chacun ses biens, lesquels elle n'auroit retiré en tout, ains auroit esté obligée & necessitée de servir puis le decedz de son mary, lequel estant de condition mainmortable, ladite Donzel auroit esté presupposée telle, et à ce pretexte le peu de bien meuble à elle restant auroit esté mis en inventaire, et prest à estre vendu au proffit de Votre Altesse.
Et comme elle est de condition franche, et partant n'y a lieu d'aucune escheutte, que sa succession est devolue aux supplians comme plus proches, à laquelle ils doibvent estre d'aultant plus admis que iceux luy ont subvenu de leur possible et moyens pendant que elle a seiourné icy, particulierement durant les cours de sa maladie, de laquelle elle est decedée, prins egard que ladite succession ne consiste que en quelques nippes de fort petite valleur ; à ces causes :
Plaira à V. A. dire et declarer que, nonobstant la saisie faite desdits meubles & inventaire d'iceux, ils seront relaschez aux supplians, comme eux appartenant, et sera justice ; fait à leur requete le 17 en mars 1653.
La réponse est, ici encore, dans la marge ; nous y reviendrons.
En effet, suite à la demande des neveux, une enquête est menée, entre le 19 et le 31 mars à Châtenois et Nommay, d'où la défunte était originaire (pièce 76). 3 personnes sont interrogées :
Movaulx | Daniel | 40 ans | Nommay |
Jacques | Jean | 56 ans | Châtenois |
Vuillaquier | Marie | 60 ans | Nommay |
Tous déclarent avoir bien connu la défunte, et, au grand dam sans doute des requérants, qu'elle était clairement réputée mainmortable.
On ne s'étonnera donc pas du verdict du conseil, le 18 avril :
(...) par laquelle (enquête) a consté qu'icelle estoit issue de macule de mainmorte (...), l'on ne peut pourvoir les supplians (...)
On voit donc, ici encore, que cette notion ancestrale de mainmorte était bien présente dans la vie économique et dans les esprits, longtemps après la fin du servage.
Au delà, les témoins fournissent des informations sur la famille de la défunte, que nous reprenons dans le relevé de cet acte.