
Longtemps conservé aux archives communales de Delle, il est à présent déposé aux archives départementales, sous la cote 33 E-dépôt AA1/1.
Rédigé en allemand, son accès est facilité par une traduction en français datant de 1540 (33 E-dépôt AA1/9).
En réalité cette traduction n'a pas été réalisée directement à partir du "vrai original" de 1358 (qui est bien, tout le porte à croire, le document AA1/1), mais, comme il est précisé à la dernière page, d'une copie du 28 décembre 1486 "en langues germaniques et latines", à la demande de messire Guillaume de Ribaupierre, bailli et lieutenant général d'Alsace.
Cette traduction en français, la plus ancienne dont nous disposons, est la base essentielle de notre étude. Dans quelques cas, lorsqu'elle était peu intelligible, nous sommes revenus au texte original ou à la version latine (cf. Conclusion).
Nous verrons que cette charte de franchise diffère totalement de l'acte belfortain.
Les chartes du moyen-âge, dans le monde occidental, ont des structures toutes apparentées. Celle-ci comporte une requête de ratification, du fait que son auteur n'a pas une souveraineté pleine sur ses sujets, car l'empereur est le souverain suprême. Cette requête, ou supplique, figure dans l'introduction du document et est reprise et détaillée dans sa conclusion.
La charte peut être décomposée ainsi :
- adresse et suscription, solennelles, où l'auteur se présente et désigne le destinataire de l'acte,
- préambule, constitué de considérations morales et formelles ; supplique et exposé des buts de la charte,
- dispositif détaillant les mesures mises en place (46 articles),
- reprise et développement de la supplique de ratification.
L'original devait comporter initialement le sceau de l'archiduc, mais sa partie inférieure étant particulièrement endommagée, cet "instrument de validation" n'a pas résisté au temps.
AA1/1 (1358)
Original de la charte, rédigé à Rheinfelden.
AA1/4 (1595)
Copie en allemand.
AA1/9 (1540)
Traduction en français, rédigée à Delle.
Traduction d'un acte de 1364.
Mentions du notaire.
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En bleu, documents conservés |
La charte originale est écrite d'un seul tenant ; la traduction de 1540 détache des paragraphes ; nous avons de plus numéroté les articles du dispositif, comme sur la copie de 1666 (voir Conclusion).
Cette traduction fut réalisée par Jean Soder, prévôt, à la demande des maître bourgeois et conseil de la ville. Soder est le seul à signer.
À tres hault tres illustre puissant prince et seigneur sire Charles par la grace de dieu Empereur des Romains, tousjours auguste, Roy de Boheme nostre tres honnorez redoubtez prince et seigneur. Nous Ruedolff, par la grace de dieu duc d'Austrice (1), de Steir (2), de Kerneten (3), seigneur de Crayn (4), de la Marcque (5), de Portenow (6), conte de Hapschbourg (7), de Ferrette (8), de Kiburg (9), marquis de Bourgouw (10) et landtgrave en la superieure Haulssey (11), mandons nostre service en debve reverance et humilité, en bonne prompté et fidele volunté. |
À très haut, très illustre et puissant prince et seigneur sire Charles, par la grâce de dieu Empereur des Romains, toujours auguste, roi de Bohème, notre très honoré et redouté prince et seigneur. Nous, Rodolphe, par la grâce de dieu duc d'Autriche, de Styrie, de Carinthie, seigneur de Carniole, de la Marche Windique, de Pordenone, comte de Habsbourg, de Ferrette, de Kibourg, marquis de Burgau et landgrave de Haute Alsace, adressons notre hommage en toute révérence et humilité, toute disponibilité et fidèle volonté. |
Voir ci dessous les commentaires sur ces protagonistes, et sur les premiers Habsbourg et leurs possessions, auxquelles renvoient les numéros ci-dessus.
Pource qu'avons en singuliere affection ensuyvre les tresses et vestigiez de feurent tresexellente memoire noz predecesseurs princes et seigneurs desdictz avant nommez terres et pays, lesquelz, de leur begnynité, clemence et vertus innaye, avoient de costume avoir leurs subjectz en bonne recommandation, les gardez et maintenir en bonne paix, union, concorde et tranquilitez, iceulx preservez de force et violance à l'encontre de leurs ennemis et des nostres, desiderant l'augmentation de nosdictz subjectz, mesme pour le prouffit et utilitez d'iceulx. Nous, comme imitateur et sectateur de vraye noblesse et vertu, avons (parmy et moyennant l'aide et faveur de vostre sacrée majesté imperiale) donnée, cédé, conferer et ouctrouyer de grace especiale à noz aymez et feaulx les bourgeoys, manans et habitans de nostre ville de Dele les previlaiges, franchises, libertez, preemynences, bonnes et laudables costumes suigantes, par condition et maniere que iceulx nosdictz bourgeois et leurs successeurs puissent et doigent à parpetuité ioyr et user d'icelles franchises et libertez à l'encontre de tous, fors et reservez à l'encontre de nous et noz hoirs, car nostre voulloir n'est estre soubmis à icelles franchises et libertez, ains entendons, comme de droict et raison, estre preferez à icelles. Et pour aultant que vostre sacrée maiesté imperiale est la vraye source et fontaine de laquelle tous droictz, tant dyvins que humains, procedent, et que de vostre accostumée clemence et begnynité, conservez de vostre auctorité imperiale toutes bonnes et laudables costumes en leurs bon et deu effect, prions et requerons à icelle vostre imperiale maiesté que, suyvant vostre begnynité et clemence infinie, pour la conservacion du bien publicque, augmentacion de bonne police, et même pour la tuicion, garde et manutencion des bons et loyaulx subiectz et corection des malvais et nuysans, il plaise à icelle vostre maiesté coroborer, ratiffier, approuver de vostre auctorité imperiale icelles franchises et libertez, lesquelles avons ceder et ouctrouyer à nosdictz bourgeoys et à leurs successeurs à parpetuité, en la maniere suigante. |
Comme nous affectionnons singulièrement de suivre les traces et exemples (1) de feus d'excellentes mémoires nos prédécesseurs les ducs (2) et seigneurs des susdits territoires et pays, lesquels, par leurs bonté, clémence et vertus innées, avaient coutume de tenir leurs sujets en bonne considération, les garder et maintenir en bonne paix, union, concorde et tranquillité, les empêcher d'exercer force et violence à l'encontre de leurs ennemis et des nôtres, car nous désirons l'augmentation du nombre de nos sujets, et aussi pour leurs propres profit et utilité. Nous, disciples de vraie noblesse et vertu, avons (moyennant l'aide et faveur de votre majesté impériale sacrée) donné, cédé, conféré et octroyé par grâce spéciale à nos bien aimés et fidèles bourgeois, manants et habitants de notre ville de Delle, les privilèges, franchises, libertés et avantages, bonnes et louables coutumes suivantes, de manière que nos-dits bourgeois et leurs successeurs puissent et doivent à perpétuité jouir et user desdites franchises et libertés à l'encontre de tous, hormis à l'encontre de nous-même et nos hoirs, car notre bon vouloir est de ne pas être soumis à ces franchises et libertés, par droit et par raison (3). Et comme votre majesté impériale sacrée est la vraie source et fontaine de laquelle tous droits, autant divins qu'humains, procèdent, et que, par vos clémence et bonté accoutumées, vous êtes le garant, par votre autorité impériale, de toutes les bonnes et louables coutumes, de leurs bonnes et légitimes applications, nous prions et requérons votre impériale majesté que, suivant votre bonté et clémence infinies, pour la conservation du bien public, le progrès d'une bonne administration, et pour la défense, la garde et la protection des bons et loyaux sujets, et la correction des mauvais, il plaise à votre majesté de corroborer, ratifier, et approuver de votre autorité impériale ces franchises et libertés, que nous avons cédées et octroyées à nos-dits bourgeois et à leurs successeurs à perpétuité, en la manière suivante. |
La phrase désignant les bénéficiaires de la franchise, soulignée ci dessus comme dans la copie, provient de ceci, dans l'acte original :
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... unsern lieben getruwen den purgern gemeinlichen unserr statt ze Tattenriet ... |
1 | Premiere(me)nt. Sy aulcungz commect et perpetre homycide en la ville ou finaige dudict Dele, icelluy doibt estre decapité, et ou cas que le delinquant, ayant perpetrée ledict homicide evade et absente le lieu, sa maison (de laquelle il est bourgeoys, ensemble de tous ses biens qu'il aura oudict finaige doibvent estre mis en noz mains, et ne doibt icelluy delinquant jamais à perpetuité rentrer en nostre ville. |
Premièrement. Quiconque commet et perpètre un homicide en la ville ou finage dudit Delle doit être décapité, et au cas où le délinquant coupable de cet homicide s'évade de la ville, sa maison (pour laquelle il est bourgeois), de même que tous les biens qu'il possède audit finage doivent nous être remis, et ledit délinquant sera définitivement banni de notre ville. |
2 | Sy aulcungz estant suspect dudict homicide comparissoit devant iustice pour soy excuser et purger du cas, icelluy doibt estre absoulz de l'impeticion et demande, sy en tant qu'il ne soit convaincu par combat estre culpable de ce que luy seroit imputé. |
Quiconque, étant suspect dudit homicide, comparaîtrait devant justice pour s'en excuser, dans ce cas, doit être absout de l'accusation, sauf s'il est convaincu de culpabilité par combat (art. 42). |
3 | Après que aulcung homicide sera commis ès fin et finaige dudict Dele comme dessus, en quelque temps que ce soit, la cause estre venue à notice et en plainte, les cloiches doibvent incontinant estre sonnées ; puis doibt estre cité le delinquant ainsy que de costume, et doibt le prevost faire à iuger le cas selon la sentence des bourgeoys. |
Après qu'un homicide sera commis sur le finage dudit Delle, comme ci-dessus, en tout temps, dés que la cause sera connue et aura fait l'objet d'une plainte, les cloches devront être sonnées ; puis devra être cité le nom du délinquant, comme de coutume, et le prévôt devra le faire juger par la justice des bourgeois. |
4 | Quilconques baillera ayde et faveur à ung delinquant qu'il aura perpetrée ung homicide, pour evader fuyr ou soy absenter, sy en tant qu'il soit convaincu du cas par combat, icelluy doibt estre pugnir et chastier de l'execution que ledict delinquant auroit merité. |
Quiconque fournira aide et soutien à un délinquant qui aura perpétré un homicide, pour s'évader ou quitter la ville, si celui-ci est convaincu de son crime par combat, celui-là doit être puni et châtié de la peine que ledit délinquant aurait méritée. |
5 | Ung bourgeoy qu'il sera cité ou adiourné à l'intance d'ung aultre pour donné son tesmoingnage, icelluy sera tenu comparoir devant iustice et bailler son tesmoingnage, ou prester le serment non rien scavoir de la matiere et sy mect reffus sera tenu à desdommaiger celluy que entendoit faire sa preuve par luy de tous fraiz et despens que a ceste cause luy pourroit survenir. |
Un bourgeois cité ou convoqué à l'instance d'un autre bourgeois pour témoigner sera tenu de comparaître devant la justice et donner son témoignage, ou prêter le serment de ne rien savoir de l'affaire, et s'il refuse de le faire, il sera tenu de dédommager celui qui entendait apporter une preuve par lui de tous frais et dépens dont il pourrait être chargé. |
6 | Quilconques desdictz bourgeoys dira parolles injurieuses à ung aultre sera tenu payer à celluy que sera injurier dix solz, au iuge dix et à la ville dix. |
Tout bourgeois qui proférera des injures à un autre bourgeois sera tenu de payer à la victime 10 sols, au juge 10 sols, et à la ville 10 sols. |
7 | Si aulcungz discord ou dissession se esmeuvoit entre lesdictz bourgeoys, le seigneur, la ville ou le iuge, ne doibvent contraindre ou persuader personne en faire plaintifz ou doleance, ne aussy ne la doibvent faire ledict seigneur ny le iuge, mais se le plaintifz se fait premier audict seigneur ou au iuge, ilz peuvent bien testiffier que le plaintifz leur soit estée faict sans le raport d'aultruy. |
Si un désaccord se manifeste entre lesdits bourgeois, le seigneur, la ville ou le juge, on ne doit contraindre ou persuader personne de déposer une plainte, et le seigneur ou le juge ne doivent pas la déposer, mais si la plainte est déposée devant le seigneur ou le juge, celui-ci pourra attester qu'elle a été faite sans témoignage d'un tiers. (4) |
8 | Nunlz paysant doibt bailler tesmoingnaige à l'encontre d'ung bourgeoy synon l'ung desdictz bourgeoy contre l'aultre. |
Nul paysan ne doit témoigner à l'encontre d'un bourgeois, mais seulement un bourgeois contre un autre bourgeois. |
9 | Toutes causes et querelles se peuvent prouver par deulx bourgeoys de bon fame et renommé, sy en tant qu'ilz l'ayent veu oyé et entenduz l'affaire dont ilz doibvent bailler leur tesmoingnaige. |
Une preuve peut être établie par le témoignage de deux bourgeois de bonnes réputations et renommées, si tant est qu'ils aient connaissance de l'affaire sur laquelle porte leur témoignage. |
10 | Sy, en baillant aulcunes sentences lesdictz bourgeois estoient de diverses opinions, ilz peuvent consulter la matiere aux aultres villes circumvoisines joyssant de semblables droictz et costumes, où se peult determiner la cause selon les droictz et costumes de Colompgne, sy ainsi plaist esdictz bourgeoys, et celluy qu'il sera condampner sera tenu à reffondre à l'aultre partie de tous fraiz et despens faiz à la poursuite. |
Si, dans leur jugement, les bourgeois [formant le conseil de la ville] étaient d'avis divergents, ils peuvent soumettre la question aux autres villes voisines jouissant de droits et coutumes semblables, où l'affaire puisse être résolue selon le droit et la coutume de Cologne (5), si toutefois lesdits bourgeois le souhaitent. Et celui qui sera condamné sera tenu de rembourser l'autre partie de tous frais et dépens. |
11 | Ung chascun bourgeoys dudict Dele peult vendre, donner, aliener et distribuer de ses biens durant la vie de sa femme, mais après le trespas d'icelle, moyennant qu'elle laisse aulcungz enffants que le pourroit faire, mesme ce qu'est de propre heritaiges et franc aloux, sy ce n'est par le voulloir et consentement desdictz enffans, sy en tant qu'ilz l'aient l'aige competant, moingz aura il la licence et faculté de ce faire sy se remarie avec une aultre. |
Tout bourgeois dudit Delle peut vendre, donner, aliéner et distribuer ses biens durant la vie de sa femme, mais après le trépas de celle-ci, si elle a eu des enfants qui pourraient le faire, et ce même pour ce qui est de ses propres héritages et francs alleux, il ne le pourra qu'avec le consentement desdits enfants, s'ils sont majeurs, et il n'aura pas (6) la possibilité de ce faire s'il se remarie. |
12 | Sy aulcungz bourgeoys alloit furieusement en la maison et habitacion d'ung aultre, le vuillant ouctraiger, et luy advient aulcung inconveniant en icelle, ne sera tenu respondre en iustice de ce que luy seroit inferer. |
Si un bourgeois pénètre furieusement en la maison et habitation d'un autre, voulant lui faire violence, et s'il lui advient quelque dommage que ce soit en celle-ci, personne ne sera tenu de répondre de ce qu'il aura subi. |
13 | Nunlz bourgeois ne sera tenu de faire ung combat avec ung estranger sy ce n'est par son voulloir et plaisir. |
Nul bourgeois ne sera tenu d'affronter en duel (art. 42) un étranger si ce n'est de son bon vouloir et agrément. |
14 | Quilconques desdictz bourgeois poursuyvroit ung aultre que par devant son iuge et iurisdiction ordinaire sera tenu à desdommaiger le deffendeur de son interest, et avec ce payer une esmende à nostredict iuge, et sy ledict poursuyvant procuroit par effect la prinse ou caption de son corps, icelluy auroit incourru nostre indignacion (8). |
Si un bourgeois en poursuit un autre devant un juge autre que le sien, tous les dommages qu'en subit le défendeur devront lui être remboursés par le requérant, et en outre celui-ci sera redevable d'une amende à son juge. Et si cela conduit à la capture du défendeur, le requérant aura "perdu notre grâce". |
15 | Le cas advenant que ung bourgeoy fust blesser ou chasser en fuyte par ung paysant, estre notiffier l'affaire à nostre iuge, sera icelluy iuge tenu mander et ordonner audict paysant faire composition avec ledict bourgeoy, et ou cas que ledict paysant y mecte reffus, et depuis soy trouver ou apprehendir en ladicte ville, ce qui luy sera inferer par ledict bourgeoy, icellui bourgeoy n'en sera tenu à nulle esmende. |
Au cas où un bourgeois serait blessé ou chassé par un paysan, si l'affaire est notifiée à notre juge, celui-ci devra ordonner audit paysan de composer avec ledit bourgeois ; et si ledit paysan refuse, et est ensuite appréhendé en ladite ville, quoique qu'il ait subi de la part dudit bourgeois, ce dernier ne sera tenu à aucune amende. |
16 | Item avons promis et promettons à nosdictz bourgeoys non estably aulcungz prevost, sy n'est bourgeoy et residant en ladite ville. |
Item avons promis et promettons de n'établir aucun prévôt qui ne sera bourgeois et résidant en ladite ville. |
17 | Item pourront iceulx nosdictz bourgeoys recepvoir en notredicte ville toutes manieres de gens qu'ilz vouldront faire residance en icelle, et sy aulcungz d'iceulx estoient de mainmorte et serve condicion et ne sont requesté par le seigneur deans ung an prouchain, doivent demeurer francs et combourgeoys, mais sy le seigneur requeste sondict homme avant ledict terme, et qu'il le puisse verifier par deux hommes de bien, prouchain lignaigiers de celluy son homme, en icelluy cas ne doibt estre detenu, ains le doibvent laissez à pleisir dudict seigneur. |
Item, nos-dits bourgeois pourront recevoir en notre-dite ville toutes sortes de gens qui voudront faire leur résidence en celle-ci ; et si l'un d'eux est mainmortable et de condition serve, s'il n'est pas requis par son seigneur dans un délai d'un an, ils pourra demeurer franc et bourgeois ; mais si son seigneur le recherche avant ledit terme, et peut faire établir son identité par deux hommes de bien, proches parents de l'homme, celui-ci ne devra pas être retenu en la ville, et on laissera son seigneur disposer de lui. |
18 | Quilconques desdictz bourgeoys aura aulcungz bien riere luy et en sa puissance l'espace d'ung an et ung iour, n'en doibt estre poursuit quant adce par nully, sy en tant que celluy que luy voudroit quereller lesdictz biens est ou pays. |
Tout bourgeois qui détiendra un bien pendant un an et un jour ne pourra être poursuivi pour cela par quiconque, même s'il se trouve un poursuivant résidant au pays durant cette période. |
19 | Item ouctoyons à nosdictz bourgeoys de grace especiale estre exempt de toutes iustices, fors que de la iustice dudict Delle, par devant nostre iuge d'illec, sy ce n'est pour cause de mariage, usure, impignoration ou gaigement |
Item octroyons à nos bourgeois, de grâce spéciale, d'être exempts de toute justice, hormis celle de la justice dudit Delle, par devant notre juge de ce lieu, si ce n'est pour cause de mariage, d'usure, d'engagement ou de mise en garantie. |
20 | Quilconques desdictz bourgeoys fera tumber ung aultre ou qu'il le poursuive furieusement à main armé, ou sy aulcung d'iceulx mect la main à ung aultre pour le prandre ou procure par effect son emprisonnement ou rigoureusement le serche en sa maison, aura incourru nostre indignacion et fera contre nostre volonté. |
Si un bourgeois fait tomber un autre bourgeois, ou s'il le poursuit à main armée, ou si l'un d'eux porte la main sur un autre pour s'emparer de lui ou provoquer son emprisonnement, ou le recherche en sa maison, il aura "perdu notre grâce" en agissant contre notre volonté. |
21 | Sy aulcungz de nosdictz bourgeoys frappe ou tire par les cheveulx ung paysant en nostredicte ville de Dele, sera tenu à l'esmende de troys solz baloys. |
Si un des bourgeois frappe ou tire par les cheveux un paysan en notre-dite ville de Delle, il sera tenu à une amende de trois sols bâlois. |
22 | Sy aulcungz habitans en nostredicte ville fait aulcungz bruit, alarmes ou esmotion en icelle à main armée, et en furent que per ce soit contrainct soy retirer ainsy armer vers ses amys, aura incourru nostre indignation. |
Quiconque entre dans notre-dite ville en armes, provoque du chahut, des troubles ou du désordre et rencontre ses amis ainsi armé "perdra notre grâce".(7) |
23 | Quilconques desdictz manans invahy ou poursuyt à main armée ung aultre, et il le frappe, aura incourru nostre indignation, et sy ne le frappe, il l'aura commis et perpetrée une esmende. |
Si un desdits manants s'introduit chez un autre ou le poursuit avec une arme, et le frappe, il "perdra notre grâce", et si il ne le frappe pas, il encourra une amende. |
24 | Sy ung paysant ou estrangier poursuit l'ung de nosdictz bourgeoys pour aulcune debte par iustice, et icelluy bourgeoy confesse le debt, icelluy paysant et demandeur doibt differer son action par nostredict iuge quatorze iours, après lesquelz estre expirer le debteur payera à nostredict iuge trois solz d'esmende, et ce neantmoingz sera tenu icelluy nostredict bourgeoys respondre audict demandeur, par condicion touteffois qu'il ne luy soit irroguer aulcung dommaige par ledict demandeur, et ou cas que nostredict bourgeoys ne confesse le debt, seront tenuz les sergens et messaigiers de nostredict iuge le presenter à la seconde iournées à laquelle il sera tenu satisfaire à l'adjugée. |
Si un paysan ou un étranger poursuit l'un de nos-dits bourgeois pour une dette en justice, et si ce bourgeois confesse sa dette, l'action de ce paysan demandeur doit être suspendue par notre juge pendant quatorze jours, à l'issue desquels le débiteur paiera au juge trois sols d'amende, et sera néanmoins tenu de répondre audit demandeur, à condition toutefois qu'il n'ait subi aucun dommage de la part du demandeur ; et au cas où notre-dit bourgeois ne confesse pas sa dette, les sergents et messagers du juge le feront se présenter à une seconde instance, à laquelle il sera soumis à sentence. |
25 | Si aucungz desdictz bourgeoys oblige ou ypotheque aulcungz biens appartenans à ung aultre, et celluy à cuy lesdictz biens appartiennent est present et ne contrevient adce, n'aura plus la licence ou facultey impugner ou contrarier à icelle, ains doibt demeuré ladicte gaigiere en estre et sortir son effect. |
Si un bourgeois reçoit par obligation ou hypothèque des biens d'un autre, et si celui-ci est présent et ne s'y oppose pas, il n'aura plus ensuite la possibilité de la contester ou s'y opposer, et l'hypothèque demeurera valide et de plein droit. |
26 | Sy aulcungz biens roubez appartenans à ung de nosdictz bourgeoys sont touvez ès mains d'ung aultre, ne sera loisible à icelluy bourgeoys les repetez ou prandre, synon par droict et par devant nostre dicte iustice, et avec ce prester le serement devant icelle iceulx biens luy appartenir. Et sy l'aultre pose en droict disant estre inculpable, et qu'il l'aye achetez lesdictz biens au plain marchiefz, non ayant congnoissance de celluy duquel ilz les auroit achetez, doibt estre creu et absoubz par son serement. Et sy demande son garand, le iuge sera tenu luy conceder quattorze iours pour sercher son garand pour les garantiz à cause que dessus, et s'il ne treuve sondict garand duquel il l'aurait achetez lesdictz biens, icelluy terme pendant, aura commis et perpetré l'esmende comme de chose rouber. |
Si des biens, dérobés à un de nosdits bourgeois, sont trouvés entre les mains d'un autre, le premier ne pourra les réclamer ou les reprendre, sinon par devant notre-dite justice, en prêtant le serment que ces biens lui appartiennent. Et si l'autre affirme devant la cour être non coupable, car il les aurait achetés en bonne et due forme, sans savoir de qui ils provenaient, il doit être cru et absout sur son serment. Et s'il demande à présenter son garant, le juge devra lui concéder quatorze jours pour le chercher ; et s'il ne trouve pas celui à qui il aurait acheté lesdits biens, au terme de ce délai, il encourra une amende pour vol. |
27 | Quilconques mect la main à ung homme en nostredicte ville de Delle pour le prandre prisonnié, sy ce n'est par iustice, ou que l'on trouve le larrecin ou faulce monnoye riere luy, icelluy sera tenu à l'esmende de trois libvres. |
Quiconque s'empare d'un homme en notre ville de Delle pour le faire prisonnier, si ce n'est par décision de justice, ou que l'on trouve chez lui un larcin ou de la fausse monnaie, il sera tenu à l'amende de trois livres. |
28 | Sy aulcungz bourgeoys dudict Dele, appartenant à un seigneur à cause de mainmorte, va de vie à trespas en nostredicte ville, sa femme ou ses enffans seront en riens tenuz audict seigneur sy ce n'est de leur pleisir. |
Si un bourgeois dudit Delle, appartenant à un seigneur à cause de mainmorte, décède en notre ville, sa femme ou ses enfants ne seront tenu à rien envers ledit seigneur, sauf de leur propre gré. |
29 | Quilconques desdictz bourgeoys aura incourru nostre indignation pour aulcungz delictz par luy commis et perpetrées à l'encontre (de nous) de nous comme dit est, icelluy doibt avoir surtey en la ville et dehors six sepmaines et trois iours, tant à sa personne que ses biens, pendant lequel terme il peult disposer de ses biens à sa volunté, fors que sa maison et d'aultres ses biens qu'il pourroit avoir dedans le finaige dudit Dele, par la caption desquelz il doibt estre contrainct, et compelly à satisfaction de l'esmende, sy en tant que en cedict terme il n'obtienne sa grace, et ou cas que nostre iuge luy fust trop rigoureulx quant à icelle, il peult reacheter sesdictz biens en payant dix libvres baloises, applicquables à nostre prouffit ou à notre iuge ; quoy fait, icelluy bourgeoy sera en nostre grace. Et le cas advenant que nostredict iuge ne fust ou pays pour quant adce faire composition et convenir avec luy, en icelluy cas luy pourront les conseilliers de nostredicte ville bailler, ouctrouyer et proroguer aultres six sepmaines et trois iours, en tel droict, maniere et condicion que dessus, pour ce terme pendant acquerir sa grace, pendant lequel terme il peult semblablement demeuré en ladicte ville sy luy plaist, après avoir impetrée nostre grace, ou synon qu'il l'en puisse sortir, avec ses biens et aller où que bon luy semblera. |
Un bourgeois qui aura "perdu notre grâce" pour un délit qu'il aura commis à notre encontre, comme il a été dit, pourra vaquer sans crainte en la ville et au dehors pendant six semaines et trois jours, tant pour sa personne que pour ses biens, pendant lesquels il pourra disposer de ses biens à sa volonté, sauf de sa maison et des autres biens qu'il pourrait avoir sur le finage dudit Delle, à la saisie desquels il doit être soumis, et contraint au paiement de l'amende. S'il n'obtient pas sa grâce pendant ce temps, ou s'il estime que le juge a été trop rigoureux quant à cette amende, il peut racheter ses-dits biens en payant dix livres bâloises à notre profit ou à celui du juge ; cela étant fait, il regagnera notre grâce. Et si jamais notre juge n'était pas au pays pour composer et s'accorder avec lui, les conseillers de notre ville pourront lui octroyer une prorogation d'une durée de six semaines et trois jours, dans les mêmes conditions que ci-dessus, durant lesquels il pourra obtenir sa grâce ; ensuite il pourra à nouveau demeurer en cette ville s'il le souhaite, après avoir recouvré notre grâce, ou bien en sortir avec ses biens et aller où bon lui semblera. |
30 | Sy l'ung desdictz bourgeoys iniure ou fait quelque moleste à ung aultre hors de la ville en faisant quelque voyage, tant en faict de guerre que aultrement, sera tenu à l'esmende, comme sy le cas fust commis et perpétrée en ladicte ville. |
Si un bourgeois en injurie ou moleste un autre hors de la ville lors d'un voyage, en temps de guerre ou autre, il subira une amende, comme si les faits avait été commis en ladite ville. |
31 | Quant l'on faictz aulcung edictz ou commandement ausdictz bourgeoys partir en communaultey de ladicte ville, tant en fait de guerre que aultrement, et aulcung d'iceulx demeure non vuillant obeyr audict commandement, aura incourru nostre indignation, sy ce n'est qu'il soit retarder par grosse neccessité ou que soit par la licence d'ung prevost et conseil. |
Quand il sera ordonné auxdits bourgeois de sortir ensemble de ladite ville, du fait de guerre ou autrement, si l'un d'eux persiste à refuser d'obéir, il "perdra notre grâce", sauf s'il est retardé pour cause majeure ou s'il en reçoit la permission du prévôt et du conseil. |
32 | Toutes mesures que l'on use, tant pour vendre que acheter, semblablement tous poidz que l'on pese, or, argent ou aultres choses, doibvent estre visitez par deux hommes de bien du conseil, que le prevost et conseil esliront, quelles soient justes et raisonnables, et sy ce trouvoit en iceulx aulcungz mesus, icelluy ou ceulx seront tenuz à l'esmende comme de choses faulces. |
Toutes les mesures utilisées pour vendre ou acheter, ainsi que tous les poids utilisés pour peser l'or, l'argent ou autres choses, doivent être contrôlés par deux hommes de bien du conseil, élus par le prévôt et le conseil, qui vérifieront qu'ils sont justes et conformes ; et s'il apparaît une infraction, celui ou ceux qui en sont responsables auront une amende pour tromperie. |
33 | Quilconques acuse ung bourgeoy de parjurement et ne le peult prouver par sept hommes bourgeoys dudit lieu aura semblablement incourru nostre indignation et fait contre nostre voullonté, mais sy ledict bourgeoy est convaincu du cas iamais ne sera rappeller pour bailler tesmoingnage à l'encontre de personne, et avec ce sera tenu à l'esmende de nostre indignation, et ce nonobstant doibt pourter quicte et indampné celluy qu'il l'aura interessé par son faul serement de tous interest et dommaige. |
Quiconque accuse un bourgeois de parjure et ne le peut prouver par la déposition de sept bourgeois du lieu aura semblablement "perdu notre grâce" et agi contre notre volonté, mais si ledit bourgeois est convaincu du parjure il ne sera jamais rappelé pour témoigner à l'encontre de quiconque, et de plus subira l'amende de la "perte de notre grâce", et de plus devra dédommager et indemniser celui à qui il aura porté tort par son faux serment de tous dommages et intérêts. |
34 | Sy aulcungz bourgeoys fait aulcune offence hors des lymites de ladicte ville à l'encontre d'ung aultre sans le sceu d'un prevost et conseil, et ledict bourgeoy ne revient en ladicte ville après l'offence faicte deans trois iours suigant, lesdictz bourgeoys ne seront tenuz payer à aulcung nulle esmende. |
Si un bourgeois commet une offense, hors des limites de la ville, à l'encontre d'un autre, sans qu'en soient informés le prévôt ou le conseil, et si ledit bourgeois ne revient pas en la ville dans les trois jours suivant l'offense, lesdits bourgeois ne seront pas tenus à payer d'amende. |
35 | Nunlz filz de bourgeoys ne peult bailler tesmoingnaige en aulcune cause qu'il n'aye passé l'eaige de douze ans. |
Aucun fils de bourgeois ne peut témoigner en justice avant l'âge de douze ans. |
36 | Ung enffans de bourgeoys à cui son pere ou la mere seroit decedé ne peult riens donnez à supervivant des biens que luy competent à succeder, sy ce n'est qu'ilz l'ayent passé l'eaige de quinze ans. |
Un enfant de bourgeois dont le père ou la mère serait décédé ne peut rien donner au survivant des biens qui lui reviennent en héritage, tant qu'il n'aura pas atteint l'âge de quinze ans. |
37 | Item ouctrouyons à nosdictz bourgeoys de grace especiale de tenir recepveur et posseder en ladicte ville de Dele toute maniere de fiedz. |
Item nous octroyons à nosdits bourgeois, de grâce spéciale, d'avoir un receveur en la ville et de posséder en ladite ville toutes sortes de fiefs. |
38 | Item en la ville de Dele doibvent le mary succeder à la femme, et la femme au mary, et sy tant que le mary aye plusieurs femmes et d'une chascune des enffans, iceulx succederont ung chascun à sa mere. |
Item en la ville de Delle, le mari doit succéder à la femme, et la femme au mari, et s'il se trouve que le mari ait eu plusieurs femmes et de chacune des enfants, chacun d'eux succédera à sa mère. |
39 | Ung filz de bourgeoys dudict Dele, estant soubz l'auctorité de son pere ou sa mere, ne peult ou doibt rien vendre, distribuer ou iouuer de leurs biens en quelque maniere que ce soit, et si aultrement le faisoit l'on seroit tenu le rendre à sondict pere ou à la mere, et sy aulcungz leurs prestoit quelques choses, le pere ou la mere ne seront tenuz en faire aulcune restitution. |
Un fils de bourgeois dudit Delle, soumis à l'autorité de son père ou de sa mère, ne peut ni ne doit rien vendre, distribuer ou jouer de leurs biens de quelque manière que ce soit, et dans le cas où il le ferait, on serait tenu de le rendre à sesdits père ou mère, et si quelqu'un lui prêtait quelque chose, le père ou la mère ne serait pas tenu de le restituer. |
40 | Sy une iournée est comprinse et intimée à une partie pour faire et produire certaines enquestes par devant iustice et icelle partie n'est fournie de sesdites preuves ou enquestes à ladite iournée, il l'en doibt avoir le dommaige. |
Si une audience est fixée à une partie pour produire certaines informations en justice, et si cette partie ne peut présenter ses preuves ou informations lors de cette audience, elle doit être condamnée aux dommages. |
41 | Les nobles residans en ladicte ville qu'ilz noz servent comm'il appartient à gens de noblesse ne seront contribuable avec les aultres bourgeois, ains seront exempt de toutes tailles et impos. |
Les nobles résidant en ladite ville, qui sont à notre service à la manière qu'il appartient aux gens de noblesse, ne seront pas contribuables comme les autres bourgeois, et seront exempts de toutes tailles et impôts. |
42 | Si ung combat se faisoit en la ville de Dele entre deux parsonnaige, ung chascun d'iceulx doibt avoir ung haubert, et chascun une espée, et toutes les armures d'icelluy qu'il sera vaincu seront confisquez à nostre iuge, ou pour chascune piece d'icelle trois libvres baloyses. |
Si un duel se fait entre deux personnes, chacun d'eux doit porter un haubert, et chacun une épée, et toutes les armures du vaincu seront confisquées par notre juge, qui pourront être rachetées pour trois livres bâloises la pièce. |
43 | L'on ne doibt mectre aulcung empeschement à ung bourgeoy, à son corps ny à ses biens qu'il vouldroit sortir de la ville à cause de pouvretey ou parce qu'il espere mieulx faire son prouffit ailleurs, moyennant qu'il paye son equalitez de ce que les bourgeoys seroient tenus, obligez et affectée en communaultey. |
On ne doit pas empêcher un bourgeois, ni sa personne, ni ses biens, de quitter la ville pour raison de pauvreté ou parce qu'il espérerait mieux vivre ailleurs, à condition qu'il ait payé sa part de ce à quoi la communauté des bourgeois est tenue et affectée. |
44 | Nous prohibeons et deffendons qu'il ne soit loisible à parsonne contraindre ung bourgeoy que n'est residant en ladicte ville faire sa residance en icelle, ès termes accostumées, sy ce n'est par la licence du prevost et conseil ou des seigneurs esquelz ceulx qu'ilz ne seroient bourgeois seroient tenuz servir. |
Nul ne pourra contraindre aucun bourgeois non résidant à se présenter dans ladite ville, ni à y résider, selon les termes accoutumés, si ce n'est par la permission des prévôt et conseil ou du seigneur dont il aurait relevé s'il n'eût été bourgeois dans ladite ville. (9) |
45 | Toutes lettres et convencions que se feront entre lesdictz bourgeoys, leurs enffans et successeurs par devant ung prevost et conseil, et soubz leur seaul, doibvent estre vaillable et sortir leur deu effect. |
Tous les actes et conventions qui seront passées entre lesdits bourgeois, leurs enfants et successeurs sous le sceau du prévôt ou du conseil seront réputées valoir ce que de droit. |
46 | Et à la reste ilz nosdictz bourgeoys auront la licence et facultey faire tous statuz, ordonnance en ladicte ville, il mectre co..ent (10), tel qu'ilz leur semblera estre bon et prouffitable, tant pour le prouffit de la ville que eulx mesmes. |
Et enfin nosdits bourgeois auront permission et faculté d'édicter tous règlements et ordonnances en ladite ville, comme bon et profitable leur semblera, tant pour la ville que pour eux-mêmes. |
Cette charte de franchise est adressée par son auteur, Rudolf, à son suzerain l'empereur Karl. Ce dernier est Charles IV de Luxembourg (1316-1378), roi de Bohême (1346-1378), empereur (1355-1378).
L'auteur de la charte est quant à lui Rodolphe IV de Habsbourg (1339-1365), fils aîné et successeur d'Albert II et de Jeanne de Ferrette (cf. arbre généalogique), duc d'Autriche et seigneur de Ferrette (1358-1365), gendre du précédent par son mariage (sans postérité) avec Catherine de Luxembourg. Il disparaîtra prématurément à l'âge de 26 ans, au cours d'un voyage en Italie. Dans la suite, nous l'appellerons simplement "Rodolphe".
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Circle of Theodoric of Prague, public domain, via Wikimedia Commons (détail du couronnement) |
Dom Museum Wien, public domain, via Wikimedia Commons |
Au moment de la rédaction de ces franchises, Rodolphe a donc seulement 19 ans ; cet âge est précisé en toute fin de la charte : "und unser geburstlichen zit, in dem neunzehenden Jahre."
L'exercice de Rodolphe, bien que très bref, a été d'une grande importance pour la dynastie Habsbourg. Son action, pour laquelle l'alliance avec l'empereur Charles n'a pas été sans utilité, lui a valu le surnom de "Rodolphe le Fondateur" (der Stifter).
Il fallut ensuite néanmoins 2 générations et presque un siècle pour que les Habsbourg accèdent à nouveau à la dignité impériale (son arrière-grand père Rodolphe Ier et son grand-père, Albert Ier, avaient été élus rois des Romains, et son petit-neveu, Frédéric V, sera empereur en 1452).
Généalogie simplifiée de la dynastie Habsbourg, depuis le 1er ancêtre établi avec certitude jusqu'à la génération de Rodolphe. Voir ici un autre extrait de la généalogie Habsbourg.

Werner I et ses descendants sont tous comtes de Habsbourg, Werner II et ses descendants landgraves de haute Alsace, Rodolphe I et ses descendants ducs puis archiducs d'Autriche et des duchés associés (les numéros des individus désignent soit leur ordre dans la généalogie Habsbourg, soit comme ducs d'Autriche, soit, ultérieurement, comme empereurs).
Dans l'adresse de cette charte, Rodolphe se pare d'une dizaine de titres. Détaillons-les. Ils nous permettent de retracer la montée en puissance des premières générations de la famille de Habsbourg.
1 | duc d'Austrice | herzog ze Öster. | duc d'Autriche | le duché d'Autriche recouvre approximativement les länder de Basse et Haute Autriche de l'Autriche actuelle. |
Rodolphe Ier, arrière-grand-père de Rodolphe, et premier H. à obtenir le titre de roi des Romains, en 1273, a le projet de remettre de l'ordre dans l'Empire. En particulier, il mettra fin à l'occupation indue de l'Autriche et des duchés annexes par les rois de Bohême, en l'occurrence Ottokar II. Cette succession était en déshérence depuis l'extinction de la lignée des Babenberg, . |
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2 | duc de Steir | herzog ze Styr | duc de Styrie | le duché de Styrie recouvrait l'actuel land de Styrie en Autriche (Steiermark) et la région historique de Styrie en Slovénie (Štajerska) | ||
3 | duc de Kerneten | herzog ze Kernden | duc de Carinthie | le duché de Carinthie est composé du land de Carinthie en Autriche (Kärnten), et, pour une petite part, de la province de Carinthie en Slovénie (Koroška). | ||
4 | seigneur de Crayn | herre ze Chrain | seigneur de Carniole | l'étendue de la marche de Carniole est relativement imprécise ; elle correspond approximativement aux 3 régions historiques de Carniole en Slovénie (Kranjska). Rodolphe en fera un duché (Krain) en 1364. |
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5 | seigneur de la Marcque | uf der Windeschen March | "sur" la Marche Windique | voir ci-dessous. | ||
6 | seigneur de Portenow | herre ze Portenow | seigneur de Pordenone | Pordenone est une ville moyenne (51000 h.), chef-lieu de la province du même nom dans la région italienne de Frioul-Vénétie Julienne. | la seigneurie de Pordenone appartenait aussi au roi de Bohême Ottokar. Les H. en deviennent possesseurs en 1284, suite à la victoire de Rodolphe Ier sur le même roi de Bohême. | |
7 | conte de Hapschbourg | graf ze Habspurch | comte de Habsbourg | ce fief, qui a donné son nom à la dynastie, car le plus ancien, correspond à un château dans le canton d'Argovie en Suisse. Il a été édifié pour l'un des premiers ancêtres connus, Radbot, vers l'an 1020, et a sans doute été peu habité par la famille. C'est Werner, né en 1010, fils de Radbot, qui sera le premier connu sous le nom de comte de Habsbourg. | ||
8 | conte de Ferrette | graf ze Phyrt | comte de Ferrette | ce comté était une entité morcelée, s'étendant au sud des départements actuels du Haut-Rhin et du Territoire-de-Belfort, avec en particulier Delle. | Albert II de H., père de Rodolphe, en hérite après la mort de son beau-père Ulrich II en 1324. | |
9 | conte de Kiburg | graf ze Kyburg | comte de Kibourg | le village de Kibourg est une localité du canton actuel de Zurich en Suisse. | La famille de Kibourg joua un rôle important dans la Suisse médiévale ; les biens et titres de cette famille passèrent en 1264 entre les mains de Rodophe Ier, dont la mère était Edwige de Kibourg. | |
10 | marquis de Bourgow | marchvogt ze Burgow | margrave de Burgau | le margraviat de Burgau est situé en Souabe (Allemagne), formé de 4 seigneuries, dont Guntzburg et Burgau. | Albert Ier succéda comme margrave de Burgau à son cousin par alliance Henry II de Berg en 1301. | |
11 | landtgrave en la superieure Haulssey | lantgraf ze Obern Elsass |
landgrave de haute Alsace | Avant l'acquisition de l'Autriche, le titre de landgrave de Haute Alsace fut, avec ceux d'avoués de plusieurs monastères, le plus important pour la famille de H. Il fut acquis à la fin du XIIème siècle par Werner II ou Adalbert III son fils (arbre). À cette époque, l'importance des H. ne provenait pas encore de leurs possessions territoriales, mais de leur influence et leurs alliances "politiques". Le landgraviat n'était pas un pouvoir féodal, mais plutôt administratif, à l'instar de celui des premiers comtes carolingiens. Le comté de Ferrette était d'ailleurs inclus dans le landgraviat de Haute Alsace. Progressivement, la juridiction émanant du landgraviat se dilua dans les dominations territoriales des Habsbourg. |
La liste des titres de Rodolphe ne donne évidemment pas la clé de la montée en puissance de la famille de Habsbourg, depuis l'époque obscure où elle n'était qu'une lignée noble de second plan, titulaire de charges modestes, jusqu'à la constitution de l'Empire austro-hongrois. C'est d'ailleurs parce qu'il n'était pas très puissant que Rodolphe Ier avait été choisi comme roi des Romains. Il sut tirer parti de cette nomination pour porter sa famille au premier rang de l'Empire ; c'est pour cette dernière raison que les Habsbourg ne parvinrent pas alors à se maintenir à la dignité impériale.
Cette liste de titres dessine les deux pôles territoriaux majeurs de la dynastie : le plus ancien, l'Argovie et l'Alsace, puis, dés 1278, celui des régions formant actuellement l'Autriche (hors Tyrol, acquis plus tard) et la Slovénie. On peut d'ailleurs présager dans la distance séparant ces pays les difficultés ultérieures de la monarchie Habsbourg, jusqu'à l'éclatement final de l'Empire.
Pour digresser un peu, une parenthèse sur ce territoire fort peu connu : la "Marche Windique".
Il correspond à l'est des régions de Basse et Moyenne Carniole en Slovénie.
Il faisait partie, dans les années 1260, des vastes possessions que s'était octroyées les rois de Bohême. Ottokar II la perdit, avec l'Autriche, la Styrie, la Carinthie et la Carniole, au profit de Rodolphe Ier en 1278.
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la marche Windique (carte de J. B. Homann | ),
La ville principale de Basse-Carniole est Novo Mesto. Elle s'appelait anciennement Rüdolfswerth. Comme ce nom l'indique, elle fut fondée, bien loin de notre Territoire de Belfort, par Rodolphe en 1365.
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Ruodolfswert au bord de la rivière Gürck (Krka) en 1689, gravure de J. V. Valvasor |
Une spécificité de cette charte, par rapport aux actes similaires, est qu'elle n'émane pas d'une autorité pleinement souveraine. Rodolphe est bien seigneur de Delle, parmi de nombreux territoires, mais il a pour souverain l'empereur.
Pour cette raison, cette charte débute et se termine par l'expression de la requête, ou supplique, à l'empereur de bien vouloir confirmer les droits et garanties accordées aux sujets.
Relevons au passage les qualités attribuées à l'empereur : "très haut, très illustre et puissant prince et seigneur", "toujours auguste", "très honoré et redouté prince et seigneur", "très invincible, redouté prince et seigneur", "votre majesté impériale sacrée", et surtout "vraie source et fontaine de laquelle tous droits, autant divins qu'humains, procèdent"...
Rappelons que Charles est le beau-père de Rodolphe ; d'une certaine manière, en le grandissant ainsi, il se grandit lui-même.
L'empereur Charles confirmera bien ces franchises, le 21 juin de la même année 1358 (voir Annexe).
Le contenu des franchises ainsi accordées diffère considérablement du document de référence que représente pour nous la charte des franchises de Belfort, accordée par Renaud de Bourgogne en 1307.
En effet, ici, la plupart des articles (31 sur 46) constituent une forme de code pénal, procédural ou privé, s'appliquant aux bourgeois de Delle.
Articles de code pénal
Un grand nombre d'articles détaillent les peines dans des cas spécifiques : homicide, parjure, violences avec armes etc.
À noter qu'à part la décapitation (en cas d'homicide), la peine la plus lourde paraît être la "perte de la grâce" du seigneur : voir note 8.
Une disposition assez surprenante est que certains jugements peuvent reposer sur une sorte de combat ou duel judiciaire : aux articles 2 et 4, en cas d'homicide, on évoque le fait que l'accusé peut "être convaincu du cas par combat".
Ce protocole soulève de nombreuses questions : dans un cas comme celui-ci, contre qui le prévenu se bat-il ? Comment une telle disposition, d'ordinaire réservée aux procès religieux (jugement de dieu, ordalie), condamnée dés 1215 par le concile de Latran, peut-elle subsister en terre chrétienne et être validée par le roi des Romains ?
En tous cas, les duels entre particuliers ne sont absolument pas prohibés dans ce code : à l'article 42, ils sont même proprement codifiés.
Dans quelle mesure d'autre part ces réglementations constituent-elles des privilèges pour les bourgeois de la ville ? Il est difficile de l'apprécier, faute de connaître les lois qui s'appliquent aux autres sujets ou étrangers.
Dans certains articles toutefois, le bourgeois, opposé à un non-bourgeois, apparaît favorisé :
- article 8 : un paysan non bourgeois ne peut témoigner contre un bourgeois,
- article 13 : un bourgeois ne peut être tenu à affronter en combat un étranger,
- article 15 : si un bourgeois est blessé par un paysan, quoiqu'il ait fait subir à celui-ci en amont, il ne peut être condamné,
- article 24 : dispositions spéciales également si un bourgeois est poursuivi pour dette par un paysan ou étranger,
- article 19 : sauf pour certaines causes, les bourgeois ne sont soumis à aucune autre justice que celle de la ville de Delle ; cette clause (et d'autres) soulève la question des juridictions : la charte ayant été validée par l'empereur, elle devrait s'appliquer sur le territoire du Saint-Empire. Mais, en d'autres juridictions, rien n'est évidemment garanti.
- articles 20 et 21 : par comparaison, dans des cas similaires (voies de fait sur autrui), si la victime est un bourgeois, le coupable sera sanctionné beaucoup plus fortement que si elle est un paysan : "perte de la grâce" (note 8) dans le premier cas, et seulement 3 sols d'amende dans le second.
Statut et résidence des bourgeois
Qui peut devenir bourgeois ? Inversement, un bourgeois est-il libre de quitter la ville ?
- article 17 : les bourgeois peuvent recevoir en la ville "toutes manières de gens" qui voudront faire résidence en la ville, y compris des gens mainmortables relevant d'autres seigneurs ; seront-ils alors seulement résidents ? Non, car, s'ils ne sont pas réclamés par leur seigneur, ils "doivent demeurer francs et combourgeoys".
- article 43 : si un bourgeois a payé ses cotes-parts, il peut quitter la ville et s'établir où bon lui semble. Perd-il alors son statut de bourgeois ? Pas nécessairement :
- article 44 : un bourgeois qui ne serait pas résident ne doit pas être contraint à s'installer dans la ville.
Propriété et droit successoral
La premier avantage de la bourgeoisie est la protection du droit de propriété et sa transmission.
- article 37 : Rodolphe accorde aux bourgeois le droit de posséder en la ville toutes sortes de "fiefs". La propriété individuelle est fortement consolidée, même si le sens de ce dernier mot est difficile à apprécier.
- article 28 : (suite de l'article 17) si un bourgeois mainmortable auprès d'un seigneur décède à Delle, sa famille n'aura pas à céder quoi que ce soit audit seigneur : la mainmorte est gommée.
- article 36 : protection du droit de l'enfant : en cas de décès d'un parent, l'enfant ne devra rien donner au parent survivant (par l'intermédiaire d'un tuteur) avant l'âge de 15 ans. De même, à l'article 11, le père ne pourra pas aliéner des biens propres après le décès de sa femme, sans consentement de leurs enfants.
- article 38 : protection du droit du conjoint : "le mari doit succéder à la femme, et la femme au mari". Les conditions et modalités ne sont pas précisées, mais cet article a une tournure étonnement moderne.
Droits de la communauté des bourgeois
Contrairement aux franchises accordées à la ville de Belfort, celles-ci instituent peu de choses sur l'organisation et les droits de la ville en tant que communauté.
On voit cependant qu'elle était dotée d'un conseil, jouant le rôle de justice magistrale, dont le rôle est parallèle à celui du prévôt-juge. Cette justice, qui perdurera jusqu'à la Révolution, forme la série AD90 9B (1592-1790).
De plus :
- article 45 : le prévôt et le conseil auront le pouvoir de valider tous types d'actes familiaux.
- article 16 : Rodolphe promet de n'établir comme prévôts que des bourgeois résidant à Delle. Ce point devait tenir particulièrement à cœur aux bourgeois.
- article 37 : il accorde aux bourgeois le droit d'établir un receveur de la ville.
- article 46 : ce dernier article est le point d'orgue de la charte : les bourgeois auront permission et faculté d'édicter tous règlements et ordonnances en ladite ville, comme bon et profitable leur semblera, tant pour la ville que pour eux-mêmes. Le pouvoir municipal est ainsi pleinement institutionnalisé.
(Über diss alles mügent die Purgern) von Tattenriet uber sich selber einunge setzen, als si dunket, das es in
selber und der Stat nutze si.
"Par delà, les bourgeois de Delle peuvent instituer par eux-mêmes tout ce qu'ils pensent être utile pour eux et pour la ville."
Quelques éléments tempèrent un peu ces accents progressistes : d'abord Rodolphe et ses héritiers ne seront pas concernés par ces articles de code (on n'imagine guère le corps municipal se saisir de l'archiduc d'Autriche, mais mieux vaut être prudent). D'autre part (article 31) les nobles résidant en la ville, à l'opposé des bourgeois, seront exemptés de la taille et de tous impôts. Puis l'archiduc rappelle (article 41) que, s'il mobilise tout ou partie de la communauté pour raison de guerre ou autre, nul ne pourra s'y soustraire. Et surtout :
Ces libertés (théoriquement) soumises au bon vouloir des archiducs
Après avoir donné aux bourgeois toutes latitudes pour s'administrer, Rodolphe se donne toute liberté par rapport à toutes les autres parties, dans une phrase assez surprenante :
"(...) tant en vostre nom que de vostre puissance imperiale puisse et doigt corriger, adjouster ou dimynuer aux susdictes franchises et libertez, toutes et quanteffois qu'il leur semblera estre bon et prouffitable".
Ces franchises n'avaient donc pas un caractère définitif, contrairement à celles de Belfort, où Renaud de Bourgogne déclarait "commandons à ceux qui seront seigneurs dudit Belfort (...) jurent expressément de tenir et garder toutes les choses susdites et chacune en particulier" et, plus loin "s'il devait arriver que nous-mêmes ou d'autres envisagions (...) quelque chose qui soit susceptible de diminuer les choses susdites ou certaines d'entre elles, nous voulons que nous-mêmes ou les autres ne soyons pas écoutés ni crus et soyons considérés comme parjures et excommuniés" (11)
On est donc ici bien loin de cet engagement définitif et sans appel. Rodolphe, s'il donne des libertés à ses bourgeois, prend bien soin de préserver les siennes. Mais, de plus, il affirme ainsi une certaine indépendance vis à vis de l'empereur, qui, manifestement, ne la lui refuse pas : Rodolphe et ses descendants pourront modifier la charte sans avoir à revenir vers l'empereur.
Rien n'indique toutefois que cette latitude ait été utilisée par les archiducs au détriment des libertés de la ville. Par comparaison, les bourgeois de Belfort ont vu leurs privilèges contestés, non pas par leur seigneur titulaire, mais par certains des engagistes.
On dispose au contraire de diverses confirmations et augmentations de ces franchises. Voir ci-dessous.
Ce document, dont l'importance était majeure, a eu plusieurs suites :
Ratification :
- par l'empereur Charles IV : elle est rédigée en latin quelques semaines après le texte allemand, et contient la version latine de celui-ci ; cet original est perdu, mais il a été copié plusieurs fois ; l'une ce ces copies, de 1719, forme la cote 33Ed AA1/2.
Confirmations :
- par l'archiduc Albert V en 1428, traduite en 1666 (AA1/27).
- par l'archiduc Léopold V en 1624, copie (AA1/4), traduction en 1666 (AA1/27).
- par l'empereur Maximilien en 1511, confirmation de la franchise du droit de péage, copie (AA1/4), traduction en 1666 (AA1/27).
Augmentations :
- par Rodolphe et ses frères Albert et Léopold en 1364, promesse de ne plus engager la ville (12).
- par l'empereur Frédéric V en 1442, concession du droit d'Umgelt, allemand, copie en 1571 (AA1/13), traduction en 1666 (AA1/27)
- par l'empereur Maximilien en 1500, allemand, monopole du débit de sel, copie (AA1/18), traduction en 1666 (AA1/27).
Dans des articles ultérieurs, nous reviendrons sur ces divers documents.
Concernant le fond juridique de cette charte, il est intéressant de noter qu'à l'article 10 il est préconisé, en cas de difficulté de droit, de se rapprocher "des autres villes jouissant de semblables droits et coutumes, où se peut déterminer la cause selon la coutume de Cologne" (nach der Recht von Cölne).
Quant à la charte, elle possède une parenté directe : celle conférée à la ville de Colmar par Rodolphe Ier en 1278, dont celle-ci est presque la copie conforme ; à ceci près que Rodolphe Ier était lui-même roi des Romains, et qu'il n'avait à prier personne de ratifier son édit.
On a déjà noté de fortes différences entre la charte de Belfort et celle de Delle.
Nous avons globalement, pour notre région, deux "familles" de chartes médiévales, qui sont parfaitement contemporaines :
- des chartes "bourguignonnes", représentées par celles de Montbéliard (1283) et Belfort (1307), et d'autres localités de Franche-Comté, comme Belvoir (1314).
- des chartes autrichiennes (Habsbourg), dont le modèle est celle de Colmar (1278), que l'on retrouve à Porrentruy (1283), Aarau (1284), Klein-Basel (1285 : emprunt limité), Kaysersberg (1293), Turckheim (1312), Munster (1354), et enfin Delle (1358) (13).
Outre les différences de contenu entre les deux groupes, on remarque que les franchises de Delle sont réellement données aux bourgeois de Delle, alors que ceux de Belfort ou de Montbéliard avaient dû payer les leurs 1000 livres estévenantes (somme considérable pour l'époque) à leur seigneur Renaud ; voir notre article.
Au delà de leurs différences, ces chartes poursuivent le même but : préciser le droit, fournir aux bourgeois un cadre fiable pour leurs activités, sécuriser leurs libertés, leurs propriétés et leurs affaires, rendre les villes moins dépendantes des pouvoirs intermédiaires pour favoriser l'activité économique. Ces dispositions forment la base de l'essor de la bourgeoisie.
Nous emprunterons notre phrase de conclusion à l'office de tourisme de Colmar :
"A défaut de fonder le droit, [cet acte de franchise] le dit. Il offre un cadre de référence écrit. Il va dans le détail là où, jusqu'alors, on se contentait d'évoquer les privilèges antérieurs sans jamais les décrire."
L'acte de ratification de cette charte, issu de la chancellerie impériale de Nuremberg, ne nous est malheureusement pas parvenu.
Il n'en subsiste que la copie de 1719 d'une copie de 1467, comportant quelques lacunes, à la cote AA1/2 (texte précédé et suivi de mentions des notaires de 1467).
La partie centrale du document est la traduction de la charte en latin, que nous avons utilisée ci-dessus à quelques reprises.
Seuls l'entête et la fin (1 et 2) de l'acte relèvent de la source impériale.
En voici les extraits les plus importants (reprenant sans aucun doute des formules stéréotypées) :
Carolus IV divina favente clementia Rom. Imp. semper Aug. et Bohemia rex. Ad perpetuam rei memoriam. Notum facimus tenore praesentium universis, quod illustris Rudolphus Dux Austriae, Stiriae et Carinthiae, princeps et gener noster carrissimus nobis (...) nobis quondam litteram subscriptam (...) praesentavit (...)
Charles IV, par la grâce divine empereur des Romains, toujours auguste, et roi de Bohême. Pour mémoire perpétuelle. Nous faisons savoir à tous, par la teneur des présentes, qu'illustre prince et seigneur Rodolphe, duc d'Autriche, de Styrie et Carinthie, notre très cher gendre (...) nous a présenté une lettre signée (...)
[traduction de la charte]
(...) approbamus, ratificamus, et autoritate caesarea, et innata nobis clementia confirmamus, nostris imperii sacri et aliorum quorumlibet jure salvo. Nulli ergo hominum liceat hanc nostrae Majestatis paginam infrigere vel ei ausu temerario contra ire, sub poena centum marcatum auri puri (...) earum medietatem imperiali aerario, reliquam vero partem injuriam passorum usibus applicati (...)
(...) nous approuvons, ratifions et de notre autorité impériale et notre clémence innée confirmons cela, fors le droit de notre empire et celui d'autrui. Qu'il ne soit donc permis à personne de casser ces lettres ou d'aller aventureusement à leur encontre, sous peine de cent marcs d'or pur (...) dont la moitié reviendrait au trésor impérial, et le reste à la partie lésée (...)
[liste des témoins]
Datum nurembergii A. D. 1358, indict. 11e 2° Kal. Julii, regnorum nostrorum 12° imperii 4°.
Donné à Nuremberg l'an de grâce 1358, indiction onzième, le 2ième des calendes de juillet (14), le douzième de notre règne, et le quatrième de notre imperium.
Nous restons fidèles au texte français, pour son élégance, en reprenant toutefois "Herzogen" : "ducs", au lieu de "princes".
Traduction latine (AA1/2) : "Exceptis con nos ut nostri principatus et eorum hominum caput et dominus subesse nolumus eisdem juribus, constitutionibus et consuetudinibus, se proesse." : "Sauf avec nous et notre principauté et le chef et seigneur de leur peuple, nous ne voulons pas être soumis aux mêmes droits, constitutions et coutumes."
La proposition "estre preferez à icelles" ne semble donc pas pertinente.
La traduction latine (AA1/2) de cette phrase est : "Dominus vero vel judex postquam ad eum dicta lis vel querela deducta fuit protestari debet de compositione tacita, quodque sibi primus fuit querelatus". L'original en allemand est lui-même peu compréhensible, au point que Joachim, dans ses notes, peine à séparer cet article du suivant (AD90 6J notes-16 /12). Et il ne le reprend pas dans son article du BSBE 59.
Les conséquences de cette perte de faveur sont détaillées dans l'article 29. Pour retrouver le sens du texte original, nous avons traduit par "perdre notre grâce".
Date : il règne une certaine confusion : 2 juillet ou 21 juin ??
Dans ses notes (n°12), J. Joachim a transcrit une copie de 1716 (donc 3 ans avant la copie latine) d'une traduction de la ratification. Cette dernière est du même auteur, et à la même date que la version latine du AA1/2 que nous étudions dans cette annexe.
Or, cette copie, que Joachim déclare "ne pas avoir retrouvée aux archives", donne pour l'original la date du "11ème des calendes de juillet", au lieu du "2ème". Cette divergence pourrait résulter de la confusion entre II et 11.
Mais, par ailleurs, le document est intitulé du "1358, 21 juin". En l'absence de pièce plus authentique, nous ne tranchons pas.