Enfants illégitimes au début du XVIIIè siècle

Jean-Baptiste-Siméon Chardin, La blanchisseuse, domaine public, via Wikimedia Commons

Par LISA
Archive : AD90 2E4 87
Dans les deux premiers actes, un accord financier est conclu entre les parents, l'enfant restant à la charge de la mère.

Dans le troisième, la mère, reconnue coupable de non déclaration de grossesse, est sévèrement punie.

1. Accords financiers

Le 18 février 1722 nait à Delle Joseph, fils illégitime de Jean Jacques Cuenin de Boron et de Christine Nicot d'Asuel (1).

Le 8 mars, le même Jean Jacques, fils d'honorable homme Georges Cuenin de Boron, accepte de payer, avant le 1er janvier 1723, à ladite Christine Nicod, des "terres de Porrentruy", la somme de 48 livres tournois.

En contrepartie, celle-ci devra "garder, nourrir, entretenir et alimenter" l'enfant qu'elle a conçu des œuvres dudit Jean Jacques Cuenin ; "sans qu'à la suite du temps, elle en puisse inquiéter ledit Jean Jacques en manière quelconque pour raison dudit enfant".

Le géniteur (qui ne nie d'ailleurs pas l'être) est donc, pour 48 livres, délivré de toutes obligations vis-à-vis de son enfant, et de la mère de celui-ci.

Christine Nicod n'apparaît plus dans les archives que nous avons dépouillées, et est introuvable dans celles relevées par le CGAEB.
Par contre, Jean Jacques se marie, soit en 1728 avec Marie Moine, soit en 1731 avec Élisabeth Marchand (Jacques et Jean-Jacques Cuenin sont deux frères, difficiles à discriminer dans les archives). Il a au moins un enfant.


Dans un second cas, la naissance de l'enfant n'apparaît pas dans l'état-civil ancien du département.
Mais, le 12 mai 1725, Pierre Henry Scheneberg de Recouvrance passe un accord avec Maurize Preney demeurant à Vellescot au sujet d'un enfant que "ladite Preney dit avoir conçu des œuvres dudit Scheneberg".
Bien que celui-ci ne reconnaisse pas explicitement dans l'accord cette paternité, il est plus généreux, lui cédant 115 livres "pour tout ce qu'elle peut prétendre, tant pour sa défloration que pour garder et entretenir ledit enfant, et de payer les frais faits à ce sujet".

Pierre Henry Scheneberg est fils d'Henry, de Recouvrance ; il se mariera en 1730 avec Jeanne Marie Sennet, avec qui il aura (au moins) un enfant. La piste de la mère (peut-être à Villars-le-Sec ?) n'est pas plus facile à suivre que dans le cas précédent.


Que disait le droit d'ancien régime dans le cas de grossesse hors mariage ?

Un décret d'Henry II de 1556 stipulait : "Ordonnons que toute femme qui se trouvera duement atteinte et convaincue d'avoir célé, couvert et occulté, tans sa grossesse que son enfantement, sans avoir déclaré l'un ou l'autre, et sans avoir pris de l'un ou l'autre, témoignage suffisant, même de la vie ou mort de son enfant, lors de l'issue de son ventre ; et après se trouve l'enfant avoir été privé tant du sacrement de baptême, que de la sépulture publique et accutumée, soit telle femme tenu et réputée d'avoir homicidé son enfant ; et pour réparation, punie de mort et dernier supplice, et de telle rigueur que la qualité particulière du cas le méritera. Donné à Paris, au mois de février 1556."

Déclaration du roi Louis XIV ordonnant que le décret d'Henry II soit publié tous les 3 mois par les curés et vicaires (BnF)


La femme enceinte était donc d'abord tenue de déclarer sa grossesse, et d'avouer le nom du géniteur.
En théorie, la désignation du père, si elle se faisait dans les douleurs de l'enfantement, était considérée comme irréfutable.
"La vérité semblait sortir magiquement du corps convulsé des femmes dans les douleurs de l’accouchement, tout comme elle sortait du corps torturé des accusés" (3)

Le géniteur avait ensuite le devoir de nourrir l'enfant. Dans le cas où les parents ne convolaient pas, il restait à déterminer le coût de l'entretien de l'enfant.
Ce montant, qui faisait sans doute l'objet d'âpres négociations, était souvent (comme pour Maurise Preney) majoré d'une "indemnité de défloration".

Et dans le cas où la femme ne déclarait pas sa grossesse ?
L'édit d'Henry II est donc extrêmement sévère et condamne la mère à la peine de mort pour "privation de baptême et de sépulture publique".

Il semble que, dans la pratique, la sanction extrême était de toute manière limitée au cas où l'enfant était mort-né.
Vu le risque encouru, surtout dans le cas d'un accouchement clandestin, gageons que cette situation était rare.

On en trouve cependant un exemple en 1722, à Boron.

2. Grossesse clandestine

Le 28 octobre 1722, le bailli de Delle, sur requête du procureur fiscal, ordonne une information contre Élisabeth Henquy, fille de Jean Henquy et de Catherine Ruty, demeurant dans les bois de Boron.
Elle est accusée d'avoir accouché d'un enfant mort-né sans avoir fait la déclaration de sa grossesse.

Une enquête sera donc menée, avec perquisition, convocation de témoins, interrogatoires de la suspecte et de sa mère, suspecte de complicité, puis procès.

Le 14 février 1724, le même bailli (Julien Boug) rappelle le déroulé de la procédure suivie, puis annonce sa sentence.

Fort heureusement, l'homicide n'est pas évoqué et la peine maximale est épargnée aux deux femmes (résidant depuis les faits à Seppois-le-Haut).
Elles écopent cependant d'amendes, respectivement de 50 et 20 livres, plus les dépens.


Ces dépens se montent en tout à 83 livres, 12 sols et 4 deniers (2).

Pour ces faits, les deux pauvres femmes se trouvent donc chargées d'une dette de près de 154 livres. On imagine l'importance d'une telle somme, pour une femme et une fille de bucheron-charbonnier...
Quant au géniteur, son identité est inconnue. L'accouchement étant clandestin, toute déclaration potentielle de la mère n'aurait de toutes manières pas eu valeur de vérité...


Voir d'autres articles sur le thème "Enfants illégitimes".


Notes
1. Asuel est le site d'un château, berceau d'une très ancienne famille noble, et fait actuellement partie de la commune de La Baroche, canton du Jura.
2. Les dépens du procès (frais de justice) sont détaillés par le menu : rédaction d'actes (requêtes, décrets, procès verbal, ordonnances, assignations, informations, ajournements, exploits, communications, jugement, déclaration), transports occasionnés par l'enquête et les assignations, salaires du procureur fiscal, du greffier, indemnisation des témoins, rétribution de l'interrogatoire, et taxe...
3. Marcela Iacub, L’Empire du ventre : Pour une autre histoire de la maternité, Paris, Fayard, coll. « Histoire de la pensée », 2004