Foussemagne

La chapelle Sainte-Anne et le bâtiment actuel (LISA)

Par LISA
Archive : 2E1 227
Notre attention a été attirée sur un document du tabellioné du comté de Belfort concernant un patrimoine ancien, dont nous avons tenté de suivre l'historique.

Il s'agit de la description et de l'évaluation du château seigneurial de Foussemagne, après le décès de la comtesse douairière, en 1757 (cote AD90 2E1 227)

Il ne reste sans doute rien, de nos jours, de ce patrimoine ancien, déjà bien décrépit en 1757. Par contre, les bâtiments ont été remplacés par une construction du début du XIXème siècle, qui a été occasionnellement qualifiée de "château".
Quant au domaine seigneurial, situé au cœur du village de Foussemagne, il constitue encore aujourd'hui un parc dont l'emprise foncière paraît encore (presque) intacte.

1. Les seigneurs propriétaires et leurs héritiers

Avant la Révolution, les propriétaires du château de Foussemagne sont les seigneurs des lieu et seigneurie éponymes : la famille de Reinach.

On pourra trouver ici une synthèse concernant cette famille, et ses fiefs dans les secteurs de Montreux et Foussemagne.

Les actes successoraux que nous a avons étudié sont enregistrés non pas au tabellioné de la seigneurie mais à celui du comté de Belfort. L'évaluation du château est dressée peu après le décès de la comtesse douairière de Foussemagne, Marie-Claire de Reinach, veuve de François Joseph Ignace de Reinach Granvelle.

Les deux conjoints étaient cousins au 6ème degré ; la seigneurie de Foussemagne provenant des ancêtres de François Joseph, alors que celle de Montreux était l'apanage de la famille de Marie-Claire.

Le couple avait donc réuni les deux seigneuries (en partage avec le frère et les cousins du mari).

François Joseph décède en 1730 et Marie-Claire le 2 avril 1757, les deux à Foussemagne.

Du couple sont nés 11 enfants, tous à Foussemagne, et le curé a eu la bonne idée de les "numéroter", ce qui pallie en grande partie le fait que beaucoup reçoivent deux baptêmes, et que, lors de leur naissance, ils ne sont pas toujours nommés :

  1. Marie Anne Catherine Reine Ursule (°1701), qui épouse en 1731 Dominique Auguste de Bonvoust, baron d'Aunay,
  2. Simon Philippe Charles (°1702), marié en 1726 avec Marie Ève Françoise Truchsess de Rheinfelden ; devient seigneur de Roppe, où il vivra, et décédera en 1768,
  3. un 3ème enfant, de sexe féminin (°1704), qui semble avoir survécu puisque recevant un baptême sacramental en 1710, mais non nommée,
  4. Jeanne Marie Claire Constance (°1705), qui épouse en 1736 Antoine Joseph Emmanuel de Marchant, seigneur de Bannans, chevalier d'honneur en la chambre des comptes de Dôle,
  5. un 5ème enfant, mentionné par déduction du rang des suivants, peut-être Nicolas François Louis Frédéric, rebaptisé en 1710, et alors déclaré né en 1708,
  6. François Félix Ignace Joseph (°1708), rebaptisé en 1716, où son prénom complet est mentionné,
  7. Marie Claire (°1709),
  8. Madeleine Concorde (°1712), peut-être décédée peu après la naissance (elle a été "prise de convulsion"),
  9. une fille non prénommée (°1713), probablement mort-née,
  10. Jean Joseph Benoît (°1720), qui fera une carrière ecclésiastique et deviendra grand prieur de l'Ordre de Malte (1) ; décède en 1796,
  11. Marie Béatrice (°1721), rebaptisée en 1726 ; épouse en 1748 Pierre François de Staal, marquis de Cayro.

Sur ces 11 naissances, on peut conjecturer que 8 ou 9 ne sont pas morts en bas âge.

Au décès de leur mère, les enfants survivants ne sont toutefois plus que 6 à se partager les biens parentaux. Parmi ceux-ci, le château, et ce qu'on appellerait aujourd'hui le parc, de Foussemagne.

Tout naturellement, l'estimation du bien est demandée. Elle se fait sous l'autorité du greffe du bailliage de Belfort, les héritiers ayant nommé MM. Schuller et Stroltz comme experts pour les biens immobiliers, et des jardiniers pour les biens fonciers.

En 1758, de mars à avril, diverses pièces de procédure sont enregistrées. Elles font apparaître des divergences entre les héritiers.

Quels sont les enfants survivants, héritiers des 6 lots du partage ? Tous comtes ou comtesses de Reinach, ils sont (plus ou moins précisément) listés dans le partage du 24 mars, (dans l'ordre des lots) :

  1. Marie Anne Catherine Reine Ursule, représentée par son mari Dominique Auguste de Bonvoust,
  2. Jeanne Marie Claire Constance, représentée par son mari Antoine Joseph Emmanuel de Marchant de Bannans,
  3. Jean Joseph Benoît, commandeur de l'ordre de Malte, mais aussi comte de Foussemagne Granvelle,
  4. Marie Béatrice, représentée par son mari Pierre François de Staal,
  5. x, chanoine de la cathédrale de Saint-Claude, représenté par son frère ci-dessous,
  6. Simon Philippe Charles, seigneur de Roppe.

(nous avons indiqué ci-dessus en gras les personnes présentes et signant dans les actes notariés déposés au tabellioné du comté de Belfort)

L'identification du titulaire du lot 5 n'est pas certaine. On trouve dans les fonds de la cathédrale de Saint-Claude (AD39) un acte de canonicat pour Jean Félix François Philippe de Reinach. Il s'agit à n'en pas douter du titulaire du lot 5 ; il est probable, sinon certain, qu'il soit identifiable au 6ème enfant mentionné ci-dessus sous le nom de François Félix Ignace Joseph.

2. Le château seigneurial de Foussemagne

Les bâtiments

Sont prisés le 3 novembre 1757 les édifices suivants :

  • Le château ou grand corps de logis : l'extérieur, en galandure, est en très mauvais état et le bâtiment menace ruine, le comble de la charpente est très léger et défoncé, en partie pourri.
    L'intérieur est en meilleur état, en particulier les chambres, avec des planchers solides, de même que les fenêtres, fourneaux, portes et ferrements. Estimé à 4600 £.
  • le bâtiment appelé vieux château : les murs extérieurs sont enfoncés en terre et pourris par le bas, menacent de tomber ; les deux petites tours sont hors de service et menacent de tomber ; l'intérieur est passable. 1000 £.
  • le bâtiment servant de boulangerie, buanderie, remise et porcherie est en très mauvais état ; tous les planchers sont enfoncés. 1200 £.
  • la chapelle est en assez bon état, y compris ses ornements. 450 £
  • la serre, au bas des jardins est en galandure, maçonnée en partie en briques ; en état, à condition de remplacer les s..., actuellement pourris. 1950 £.
  • les 2 petits pavillons de chaque côté de la serre sont pourris par le bas. 300 £.
  • la grange, chèvrerie, remise, logement des valets et écurie : hors d'état, menace de ruine car entièrement pourrie par le bas, fendue par le haut et en surplomb ; l'intérieur enfoncé. Pour le prix des matériaux : 1900 £.
  • le colombier : le bas est en maçonnerie, en bon état, alors que le haut, logement des pigeons, menace de tomber. 150 £.
  • le charry (sorte de hangar à claire-voie) derrière la grange est d'une charpente très faible ; s'appuie en partie sur le mur d'enclos et menace de le faire tomber. 200 £.
  • la maison du berger en galandure, maçonnée de briques, en état, à part le seuil et l'intérieur, qui sont pourris. 1200 £.
  • 276 toises carrées d'enclos et de terrasses, en plus ou moins bon état, avec 4 portes en pierre de taille, et 4 escaliers des terrasses du jardin. 2910 £.

L'estimation totale de ces bâtiments se monte donc à 15860 £.


Exemple de remplissage d'une armature de bois par du torchis sur palançons tressés, écomusée d'Alsace ; écomusée d'Alsace ; via Wikimedia, licence CC

La plupart des façades sont dites "en murs de galandure". Que faut-il entendre par ce terme ?

En comté, une galandure est une mince cloison entre deux pièces. Il faut chercher un sens plus appropriés en Suisse ou en Alsace.
On trouve ainsi dans la Description géologique et minéralogique du département du Bas-Rhin, d'A. Daubrée (1852):

... depuis des siècles on construisait en galandure, c'est à dire en bois avec du limon entremêlé de paille hachée et recouvert de cloisons d'osier.

Il s'agit donc avant tout d'une construction n'employant pas la pierre (on la trouve surtout en plaine, où la pierre est rare, et coûteuse à transporter) ; l'ossature des murs est en charpente (appelée aussi colombage). Les espaces entre les ossatures en bois sont comblés de diverses manières, soit avec un torchis d'argile et de paille, soit, comme la serre ou la bergerie, par des briques.
Cette méthode de construction offre deux avantages : elle est démontable, et déplaçable, et, selon nos critères actuels, elle offre une meilleure isolation. Elle nécessite par contre un entretien régulier, ce qui semble avoir cruellement manqué au château de Foussemagne.

On relève par ailleurs deux informations dans cette liste :
D'abord l'existence d'un "vieux château" ; son état, plus précaire encore que celui du bâtiment principal, et la présence de 2 tours (alors que l'autre n'en possède pas), accréditent le fait qu'il s'agit d'un édifice antérieur à celui-là.
Ensuite des portes en pierre de taille, seuls "édifices" construits en ce matériaux, sur lesquels nous reviendrons.


Cadastre napoléonien, commune de Foussemagne, AD90 3P71, section C

Les jardins

Ils avaient fait l'objet d'une estimation antérieure, le 13 octobre.

Les biens fonciers :

  • un parterre arboré estimé à 500 £,
  • la terrasse du milieu, estimée à 400 £,
  • la terrasse du bas, estimée à 600 £,
  • le grand verger, et le verger derrière les granges, estimés à 200 £ la fauchée, pour un total non explicité.

Les arbres fruitiers, dénombrés à 820, plus 1500 en pépinière, pour un total estimé à 452 £.

S'il est toujours difficile d'apprécier de manière absolue les grandeurs monétaires, il est possible de nous faire au moins une idée des superficies des biens fonciers.
Si on rapporte le plan ci-dessous (cadastre napoléonien) au cadastre actuel, il est vraisemblable que la propriété estimée corresponde au polygone que nous avons marqué en gras ci-contre :

La superficie de ce polygone est approximativement de 5 hectares. Malheureusement, nous n'avons pas la valeur foncière du verger, et nous ne pouvons en déduire sa surface.
Néanmoins, si on estime (2) à 30 ares la surface d'une fauchée, l'évaluation ci-dessus nous amène à un prix de moins de 10 £ l'are, pour une surface plane, "constructible" au sens moderne, en plein cœur d'un bourg.
On peut s'étonner de ce faible montant, si on le met en regard du prix (200 £) donné pour un hangar en ruine, ou celui (1000 £) d'un bâtiment "pourri" et "menaçant de tomber".


Les autres biens domiciliés au château de Foussemagne, à savoir "les tableaux, autels (...) linges et vases sacrés" ne sont pas compris dans cette estimation qui, en tout état de cause, ne représente qu'une petite part des actifs successoraux, comme on peut s'en rendre compte par le détail du lot de M. et Mme de Bannans.

3. Bien national, famille Sem

Le site de la commune de Foussemagne transcrit un texte soumis en 1938 à la Société Belfortaine d'Émulation (mais apparemment non publié) .
Celui-ci indique, sans surprise, que

 ... la chapelle du château qui, comme la plus grande partie de ce dernier, fut détruite en 1793. 

Ainsi, les bâtiments visibles actuellement auraient été édifiés au XIXème siècle, sur l'emplacement des bâtis décris dans le paragraphe 1.

Nous avons cherché à suivre la trace de ce patrimoine dont une photographie aérienne récente suggère qu'il a conservé en grande partie son emprise foncière.

Vente du bien national à Pierre Sem

La famille de Reinach a fait évidemment partie des émigrés dont tous les biens furent séquestrés puis vendus pendant les années révolutionnaires (biens nationaux).

Le château et domaine de Foussemagne furent adjugés le 6 pluviose an 2 (25 janvier 1794) à Pierre Sem, de Belfort.

AD 90 1Q5 Vente des biens nationaux

Cette acquisition, dont on ne connaît que le montant total : 180 000 livres/francs, a été payée entièrement, mais en 3 fois, correspondant à 3 enregistrements du registre des recettes, de ventôse an II à brumaire an 4 (page de droite du registre) :

date n° d'enregistrement des recettes montant payé retard intérêts produits
8 ventôse II 100 18000 0 0
13 floréal IV (et non II comme indiqué) 1357 18000 15 mois 4 jours 10214 (sur 162000)
26 brumaire IV 2457 144000   3859 (sur 144000)

Les intérêts correspondent au taux standard de 5% l'an (le même que sous l'ancien régime).

L'acquéreur, Pierre Sem, est né à Belfort en 1757 de Nicolas et de Marie Anne Lafosse (qui n'apparaissent à Belfort qu'à partir de 1753, et dont nous n'avons pu déterminer l'origine).
Il s'est marié en 1779 avec Thérèse Steulet, d'une ancienne famille belfortaine.
On trouve mention de 5 enfants : Anne Thérèse, François-Xavier, Marguerite, Louise et Marianne, nés à Belfort.

Mais, à partir de 1798, la famille Sem réside à Foussemagne : mariage de Marianne avec Joseph Boltz en 1798, décès du père en 1800, mariage de Louise avec François Gauchet en 1808.
Le dernier acte d'état-civil à Foussemagne est le décès de la veuve Thérèse Steulet en 1815.

4. Saisie et ventes judiciaires

Saisie judiciaire

Même si la famille Sem continue à résider à Foussemagne, elle n'est pas restée très longtemps en possession du château et domaine, et des autres terres acquises en 1794.

En effet, on trouve dans la série des hypothèques (4Q) et le répertoire des formalités hypothécaire (4Q6), le "compte" de Pierre Semm.

Avant de parler des actifs, évoquons le passif accumulé par cette personne (page de droite) :

4Q6 volume 1, case 4 (soit l'une des premières enregistrées à Foussemagne)

On y lit les dettes considérables qu'a accumulé ce citoyen : entre le 1er prairial en 7 et le 4 messidor an 11 (15/01/1799 au 23 juin 1803), lui ou ses héritiers se chargent d'un passif de 74 209 francs et 93 centimes (le franc ayant remplacé la livre comme monnaie, avec la même valeur) !

Ces dettes sont contrebalancées par les actifs qui lui sont saisis (page de gauche) :

Mais ce compte conduit à un autre, celui de François Feltin :

4Q6 volume 14, case 385

La colonne "volume" des pages de gauche renvoie à la série 4Q2. Dans chacune d'elles, on mentionne le volume 13, et l'article 155. Nous y reviendrons.

En effet, la case "Feltin François" renvoie d'abord à un article antérieur : 4Q2 10, article 63.

Il s'agit dans chaque cas d'adjudications des biens saisis aux héritiers de Pierre Sem (ses deux enfants mineurs Xavier et Louise) par le moyen de ventes aux enchères.

Première vente judiciaire

Pierre Sem était décédé le 12 mai 1800. Sa veuve, Thérèse Steulet, de son chef, et comme tutrice de ses deux enfants mineurs, restera chargée d'une partie des dettes issue de son défunt mari (le restant pouvant avoir été à la charge de leur fille Marianne et de son mari Alexandre Boltz, voire de ses deux autres filles Anne-Thérèse et Marguerite, si elles ont survécu).

En particulier, les enfants mineurs, comme héritiers de leur père, se trouvent débiteurs d'une somme d'environ 15 000 francs au sieur Meyer Gotschler (ou Goetachler), négociant à Hagental-le-Haut.

À la requête de ce créancier, ils ont été condamnés à expropriation par jugement du 9 ventôse an 9 et appel du 23 frimaire an 10.

Une première vente a lieu le 29 fructidor an 10 (16 septembre 1802) - inscrite le 4 vendémiaire an 11 (26 septembre 1802) -.

Le document du 4Q2 10 est particulièrement détaillé : les biens de Pierre Sem (dont on apprend qu'il était maître de poste à cheval à Foussemagne) sont adjugés en 29 lots. Le lot correspondant au domaine seigneurial est attribué pour 18 050 francs à François Feltin et Hayman Picquart de Belfort.

4Q2 10
Le tribunal a définitivement adjugé et adjuge aux citoyens François
Feltin, juge de paix du canton de Fontaine demeurant à Foussemagne et
Hayman Picquart demeurant à Belfort, sous le cautionnement du citoyen
Pierre Louis Antoine de Chavannes-sur-l'Étang, maison, bâtiment, granges,
écuries, remises, de fond en comble, cour spacieuse, aisance et dépendances,
jardin et verger, situés dans la commune de Foussemagne, contenant
environ huit hectares quatre vingt quinze ares vingt centiares de chezal,
le chemin communal de levant et midy, la grande route de couchant,
Jean Claude Voillet de minuit, pour et moyennant la somme de
dix huit mille cinquante francs.

La superficie du tout est un peu supérieure aux 5ha que nous avions estimés dans le second paragraphe. Les autres lots (des terres, des bois, un étang à Foussemagne, et une maison à Belfort) reviennent à divers particuliers, dont encore François Feltin. Le tout pour effectivement pour les 69 470 francs mentionnés ci-dessus, qui ne sont donc pas la somme payée par François Feltin !

Seconde vente judiciaire

Le 13 pluviôse an 11 (2 février 1803), un jugement en appel provoque une annulation de cette première vente, et l'organisation d'une nouvelle, le 17 germinal an XI (7 avril 1803), qui  porte sur les mêmes biens, à savoir :

  • une maison à Belfort, adjugée à 9 750 francs,
  • 24,742 hectares de champs et prés à Foussemagne, pour 34 615 francs,
  • 2,552 hectares de bois pour 700 francs, plus un montant non précisé pour le dernier lot,
  • un étang pour 2 000 francs,
  • et enfin le lot ci-dessus, évalué encore à 18 050 francs.

Le total des évaluations est de 65155 francs, en dessous de la somme précédente (mais la valeur d'un bois est manquante).
L'ensemble des biens est adjugé à la 3ème enchère pour 75 100 francs, au citoyen Chrysostome Royer, de Belfort, représentant les acquéreurs, qui sont cette fois :

  • Isaac Blum, négociant à Belfort, pour les 2/3,
  • François Feltin, juge de paix du canton de Fontaine, pour 5/18,
  • Pierre Mairan, propriétaire à Belfort, pour l'étang et les bois, représentant 1/18 du total.

Le détail de la répartition des biens entre Blum et Feltin n'est pas précisé. Les citoyens François Feltin et Pierre Mairan étaient déjà adjudicataires de la première vente, mais beaucoup de ceux-ci, dont Hartman Picquart, ne sont plus acheteurs de la seconde.

Si, comme on l'a vu plus haut, la somme de 69 470 francs indiquée dans la case Feltin n'est pas celle qu'il a déboursée, celle de la seconde ligne (20 860 francs) correspond bien, au franc près, aux 5/18 (et non les 5/6, comme mentionné) des 75 100 francs de la seconde vente.
Il faut donc être prudent sur les indications portées dans le répertoire des formalités hypothécaires.

On ignore à ce stade qui sont précisément le ou les propriétaires du domaine seigneurial. Passons à présent aux archives cadastrales, qui nous permettront de suivre la destinée de cette propriété.

5. La famille Feltin

En reprenant le plan cadastral du paragraphe 2, on identifie les parcelles formant le domaine sous les repères C12 à C17. En particulier, celle qui inclut les bâtiments est la C13 :

Voici la ligne de l'état de section de 1831 concernant cette parcelle :

Les autres parcelles formant, selon toute vraisemblance, l'ancien domaine seigneurial, appartiennent également en 1831 à François Feltin, qu'elle fassent partie, dés 1803, de la portion de l'achat lui étant attribuée, ou qu'il les ait ultérieurement acquises de Blum.

À partir de 1831 (état de section du cadastre napoléonien), il est relativement facile de suivre la succession des propriétaires de ces parcelles, tous descendants du juge de paix (ou leurs conjoints).

(Pierre) François Feltin (10/09/1757 - 25/04/1832) a épousé le 14 novembre 1780 Marie-Anne Hartemann. Ils ont eu 9 enfants.

Sur un siècle au moins, les parcelles et constructions composant le parc et "château" de Foussemagne resteront la propriété de la famille Feltin et de ses héritiers directs.

Voici un tableau synthétisant cette succession :

parcelles ? - 1834 1834-1842 1842-1873 1873-1904 1904-1926 1926- ?
C12,… C15 (Pierre) François Feltin, juge de paix (1757-1832) Jean-Claude Feltin (1789-1851), fils du précédent Jean-Claude Feltin puis sa veuve Marie Rose Harteman (1789-1871) François Feltin (1821-1902), fils des précédents Gaston Grasser (1867-1929), originaire de Beaucourt, gendre du précédent Fernand Aurientis (1882-1963), d'Aix-en-Provence, gendre du précédent
C16, C17 Anne Marie Hartemann (1758-1839), veuve du précédent (Georges) Fernand Barberot (1891-1935), originaire de Scey-sur-Saône, gendre du précédent

Ce tableau est tiré des matrices du cadastre (série 3P, voir annexe).
Nous n'avons pas recherché le détail des successions des biens de la famille Feltin. Néanmoins, l'enregistrement de celle de (Pierre) François, nous fournit le nom de ses 8 enfants héritiers :
Jean-Claude, déclarant (et héritier des parcelles qui nous intéressent), et ses 7 frères et sœurs : François, Marie Catherine, Anne Marie, Marie Anne, François Célestin, Aimé et Conrad :

3Q3 19

Notons, avant de revenir à notre sujet, que Conrad, benjamin des enfants, né en 1797, est l'arrière-grand-père de Maurice Feltin, né à Delle en 1883, ecclésiastique, qui deviendra archevêque de Paris en 1959, puis sera cardinal en 1953 (décédé à Thiais en 1975).


Parmi les propriétaires successifs du domaine, nous sommes certains que François Feltin (1873-1904) puis son gendre Gaston Grasser vivaient dans ce qu'on appelait à nouveau le "château" ; en tous cas, ils y sont décédés :

  • François Feltin, le 17 mai 1902 :
  • Gaston Grasser, le 4 mai 1929 :
6. Conclusion et questions en suspens

Nous avons pu reconstituer la succession des propriétaires du domaine, jusqu'il y a un siècle.
Il est beaucoup plus difficile de déterminer à quel moment, et par qui les bâtiments du XVIIIème siècle, qui menaçaient déjà ruine en 1757, avaient été démolis, puis remplacés par les constructions existant encore de nos jours, que l'on aperçoit sur cet extrait "Google Street View" :

Dans l'achat du bien national (1794), on mentionne encore le "château", alors que l'article cité au paragraphe 3 affirme qu'il a été détruit en 1793. Il est impossible que quoi que ce soit ait été construit entre 1793 et 1794, alors que les biens n'avaient aucun propriétaire nominatif.

Dans la suite, et à chaque transaction ou désignation cadastrale, un ou plusieurs bâtiments étaient mentionnés. Mais on parle alors d'une "maison" (jusqu'à la réapparition du terme de "château" pour les décès de deux des propriétaires). Le bâtiment actuel, dans une carte postale du début du XXème siècle, est appelé "maison Feltin".

On l'a vu, Pierre Sem s'était lourdement endetté. Était-ce pour financer la construction des nouveaux bâtiments, ou ceux-ci furent-ils érigés par la famille Feltin ?

Nous avons laissé en suspens la question des "portes en pierre de taille" ; ce sont les seules constructions de ce type dans le château de 1757. Se pourrait-il que les piliers à pilastres en grès que nous voyons ci-dessus soient des (et les seuls) éléments subsistant des édifices historiques ? La marque en forme d'étoile qui les surplombe ne relève certainement pas du château seigneurial, car la famille de Reinach aurait plutôt exhibé ses armes. Mais le reste des piliers ?
Il est d'ailleurs à noter que celui de droite a fait l'objet d'une restauration. Une plaque de la Fondation du Patrimoine y est apposée.

7. Annexe : séries archivistiques consultées ; remerciements

Le document initial fait partie des archives anciennes, série 2E1 : tabellionné du comté de Belfort.
Le classement de la majeure partie des archives d'ancien régime est relativement simple, même si certains documents, de par leur itinéraire complexe, leur ancienneté, ou les aléas de leur conservation, sont plus difficiles à localiser.

À contrario, les archives modernes (après 1792) relèvent d'un classement rigoureux, mais leur diversité complique parfois la recherche.

Dans notre article, nous avons eu recours aux séries modernes suivantes :

  • série 1Q : elle concerne la période révolutionnaire et les questions relatives aux Domaines Nationaux. Dans notre cas, malheureusement, 99% des documents concernant le Territoire-de-Belfort sont encore conservés aux Archives d'Alsace, site de Colmar. Ne demeurent à Belfort que les tables des séquestres et des ventes, renvoyant à des actes conservés à Colmar.
    LISA a numérisé et mis en ligne les séries 1Q1 à 5 ; voir la liste des archives en ligne
    C'est de la sous-série 1Q1 avons extrait paragraphe 3 la vente du château et de biens de l'"émigré Reinach" à Pierre Sem en 1794.
  • série 4Q : c'est la série des hypothèques. Vaste et assez complexe. Nous avons consulté ici :
    • la sous-série 4Q7 : table alphabétique du répertoire des formalités hypothécaires ; y sont regroupées par nom (patronyme) les personnes ayant été concernées par une hypothèque. À l'intérieur d'un patronyme donné, une liste de personnes, par prénoms, renvoie à un volume et une "case" de la série 4Q6

      Cet extrait du 4Q7/27 (SCHNEBELEN à SINGER) renvoie au 4Q6/1, case 4.
    • sous-série 4Q6 : répertoire des formalités hypothécaires, classées par débiteurs.
      Voici donc, comme au paragraphe 4, cette case 4 du volume 1, concernant Pierre Sem, page de gauche :

      La page de gauche fournit l'actif concerné et les renvois à d'autres séries, dont la 4Q2, (la page de droite donnant la liste des créances).
      Le premier bien renvoie ainsi au 4Q2/1, article 25 et le second, qui nous intéresse, au 4Q2/13, article 155.
    • sous-série 4Q2 : registre de transcription des actes translatifs de propriété d'immeuble (également 4Q9). Il est constitué de la copie intégrale des actes portant mutation de propriété (vente, échange, donation...). Les transcriptions sont faites par ordre chronologique
      Le registre 4Q2/1 est malheureusement manquant ; le 4Q2/13 (20 ventôse-16 floréal an XI) nous à conduit à l'extrait du paragraphe 4, dont voici l'intitulé :
  • série 3P : série du cadastre.
    • 3P 23 à 128 : atlas communaux, par communes ; ces plans sont en ligne sur le site des archives départementales ; pour nous, la feuille 3P 71, section C (village de Foussemagne).
      Elle permet de relever le numéro des parcelles (C13 à 17 pour ce qui nous concerne)
    • 3P 129 à 149 : états de section, par communes ; ils donnent, par section et par ordre des numéros de parcelles, les noms des propriétaires lors de la levée des plans parcellaires, le lieu-dit, la nature, la contenance de la parcelle, la classe d’imposition et le revenu. C’est en quelque sorte la légende des plans.
      Nous avons vu, plus haut, un extrait du 3P 138 (communes de Felon à Frais), pour la parcelle C13 :
    • 3P 150 à 536 : matrices cadastrales ; permettent, plus ou moins facilement, à travers divers renvois, de suivre l'historique d'une parcelle. Pour Foussemagne, 3P 340-342.
      La matrice "napoléonienne" (3P 340) concerne l'ensemble des propriétés (1832-1914) ; la matrice "contemporaine" ne porte que sur les propriétés non bâties (1914-1933).
      Les dimensions de ces registres rendent impossible l'extraction d'une ligne ; voici des liens vers la matrice napoléonienne, et vers la matrice contemporaine.
      Renvoi après renvoi, elles nous ont permis de déterminer la succession des propriétaires de nos parcelles.
    • 3P 537 à 562 : matrices similaires aux précédentes, mais pour les propriétés bâties ; pour Foussemagne, 3P 549 (1882-1933).
      Voici la "case 45" (numéro correspondant à l'un des revois des matrices ci-dessus) du 3P 549 :

      À la dernière ligne, la "maison" de la parcelle 13.
      Il faut tenir compte du fait que ces documents étaient remis à jour au fil des mutations, ce qui rend leur usage un peu délicat.
  • série 3Q : enregistrement.
    • 3Q 3 : mutations par décès ; la vocation de cette table est de consigner les déclarations de succession, à fins d’imposition.
      Connaissant la date de décès d'une personne, il est facile de trouver l'acte d'enregistrement de sa succession. Dans notre cas,
      3 Q 3/19 (22 août 1831 – 19 mai 1834).
  • série 8U (officiers publics) ; série double : une petite partie concerne la prise de fonction des notaires (8U1 et 2) et la suite est formée des doubles des répertoires de leurs minutes. Cette partie peut compléter utilement les répertoires intégrés aux séries notariales (2E, en particulier 2E 5 pour Foussemagne).
    • Les cotes 8U69 et 70 concernent spécifiquement les études de Foussemagne, tenues par Jean-Pierre Charbonnier "petit-fils" et "arrière-petit-fils".
      On trouve ainsi mention, dans la première, au 24 mai 1832, du partage fait à la requête de la veuve Feltin à ses enfants :

      Cet item renvoie à l'acte 1822 d'un registre notarial de 1832 ; mais... ce registre n'existe pas. En effet, dans la série 2E5, on passe du 2 E 5/147 (1829-1830) au 2 E 5/148 (1835-1836, 1838). Rien donc pour l'année 1832 !


Nous adressons nos remerciements cordiaux aux services des Archives Départementales du Territoire-de-Belfort, et en particulier à MM. Billot et Pereira, qui nous a soumis le document initial.


Notes
1. Jean Joseph Benoît fut élu en 1779 grand prieur de l'Ordre de Malte, pour la nation allemande, en résidence à Heitersheim (Marc Glotz, Antoine de Reinach-Hirtzbach, de l'Ancien Régime à l'ordre nouveau, 2000).
De son prédécesseur, Henriette de Waldner de Freundstein, baronne d'Oberkirch, dit dans ses Mémoires sur la cour de Louis XVI et la société française avant 1789, que, s'il envoyait à Malte une partie des revenus de ses commanderies, il était très riche, dépensait beaucoup d'argent, et son luxe étincelait sur toute l'Allemagne.
Et Théodore Schoell, dans un article sur l'école militaire de Colmar (Annales de l'Est, 1895), désigne Jean Joseph Benoît sous le titre de "prince de Reinach-Foussemagne", grand prieur de l'Ordre de Malte.
Il fut l'avant-dernier prieur de l'Ordre pour l'Allemagne, le grand prieuré ayant perdu tous ses biens et privilèges en 1801.
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