Dans les actes du XVème siècle (1g 30, relevé des revenus et rentes de la chapelle Picabo, étudié plus bas), Jehan Tabellion est décrit comme "de Belfort, clerc, notaire public et juré de la cour de Besançon" (30/05/1444)
ou "bourgeois de Belfort, notaire de la cour de Besançon et tabellion de Belfort" (03/12/1460)
Bruno de Villèle, qui a étudié les archives municipales de Belfort du XVème siècle (1) écrit à son sujet :
Il semble avoir exercé une espèce de "monopole" sur la profession, ou presque. La fortune foncière de cet homme est énorme, tout au moins par rapport à ce que nous connaissons pour la plupart des autres bourgeois. De même que BELHOSTE [Guillaume, voir ci-dessous], mais sans doute grâce à son instruction plus étendue, il a joué un rôle politique essentiel, gravissant lui aussi tous les échelons jusqu'à la Prévôté.
(...) Cet homme a acquis une richesse immense, il a exercé des fonctions municipales presque toute sa vie, c'est sans conteste le personnage le plus influent du XVe siècle à Belfort.
Cet auteur indique par ailleurs que Jean Tabellion est attesté (à Belfort) de 1418 à 1483.
Il donne pour références, pour la première date "1g26/1, 25". Il s'agit d'un article de l'obituaire du chapitre, daté de 1418 :
(...) l'an mil iiiic & xviii grossier (grossé) par Johannes tabellion
Pour la seconde date, la référence est "1g30/1, 3" ; il s'agit, dans le même document que plus haut, de la cession, par le seigneur de Morimont, de l'héritage de son épouse Marguerite à Richard ROY et Jean Guillaume PEPOL ; nous transcrivons cette pièce car elle éclaire les liens familiaux de Jehan TABELLION et un aspect de la fondation de la chapelle :
:
(...) heritance de feue Marguerite fille de fut
messire Humbert de FRANCFORT jaidis curié
de Bielle (Bienne), que fut femme de fut Jehan TABELLION (...)
Ce document du 19 juillet 1483 (il s'agit ici d'une copie datant du XVIème siècle ; transcription complète ici) prouve que Jean TABELLION et son épouse étaient décédés en 1483, et peut-être (elle est dite "jadis sa femme", et non sa veuve) qu'il est mort avant elle.
Et, incidemment, que l'héritage de sa femme est adjugé à ses beaux-frères Richard ROY et Jehan Guillame PEPOL pour, en tout et pour tout, l'engagement de maintenir une lampe sur l'autel de ladite chapelle St-Sébastien.
Vie professionnelle et publique :
De Villèle a déterminé que Tabellion avait été clerc ou tabellion de la ville de 1429 à 1475. Il signe 6 actes de son élégant paraphe :
BB1 p. 41 (1460) : Jo(hannes) Tabellionis | griffe, BB1 p. 87 (1455) |
Nous avons par ailleurs relevé qu'il était cité comme membre du conseil de la ville en 1435, 1437, 1451 et de 1453 à 1460 (BB1).
En 1461 et 1462, il exerce la charge de prévôt de la ville.
Il est d'autre part souvent désigné comme clerc-notaire de la cour de Besançon (sans doute plutôt un titre qu'une activité). De Villèle a enfin relevé qu'il exerçait la charge de clerc des escoffiers et courvoisiers en 1453 et 1463.
Origine et vie privée :
Bien que ce personnage soit très présent dans les archives du XVème siècle, il n'en reste pas moins un peu mystérieux, par son nom, se confondant avec sa profession, et plus généralement par ses origines.
Alors que "Picabo" apparaît toujours comme un surnom, TABELLION semble bien être un patronyme, ou du moins un surnom hérité. Aucun autre personnage n'étant désigné par ce nom à Belfort, il est probable que son origine soit à rechercher du côté de Besançon, vu les liens l'associant à cette ville.
Dans les inventaires d'archives concernant Besançon, on trouve précisément plusieurs références à des personnages portant le même patronyme :
- dans l'ouvrage "Testaments de l'officialité de Besançon, 1265-1500", Ulysse Robert (1845-1903) (2) cite, pour 1439, celui de Jean Tabellion, de Besançon, coté 6208 dans l'inventaire Joursanvault-Laubespin.
- plus loin, le même auteur transcrit le document coté 8754 dans le même inventaire : le testament d'Estevenin Tabellion, notaire, juré de la cour de Besançon, fils de feu honorable Vuillemin Tabellion, jadis citoyen de Besançon.
En note, il mentionne qu'Étevenin Tabellion fut cogouverneur de Besançon, pour le quartier de Battant, de 1449 à 1469. Il donne également une
référence au testament de son père Vuillemin, originaire de Montbozon, en 1438.
Plus loin, on trouve le nom de son épouse : Jehannete Verroille, de Besançon.
Parmi ses légataires, on relève Rolet Tabellion, citoyen de Besançon. Mais son légataire universel est Pierre Bonvalot, de Besançon.
- ad25 g186 : traité passé entre le chapitre et Pierre Bonvalet, citoyen, comme héritier testamentaire d'Étienne Tabellion, 10/12/1478.
Il s'agit très probablement des personnages appelés dans le document précédent Estevenin Tabellion et Pierre Bonvalet.
Il est fort probable que le Jehan Tabellion de Belfort soit apparenté à ces Estevenin et Vuillemin Tabellion ; il pourrait être un frère, ou un cousin du premier.
Autre particularité : son mariage avec une fille naturelle d'un ecclésiastique. Son "exil" à Belfort y est peut-être lié.
Pour terminer, évoquons son surnom "Picabo", dont la chapelle Saint-Sébastien héritera ; il est particulièrement énigmatique ; on peut signaler qu'il correspond à la 1ère personne du futur du verbe latin "pico", et pourrait donc signifier "j'enduirai de poix" ou "je colmaterai avec de la poix". Sans commentaire.
Pour revenir aux sources belfortaines, la première mention de cette chapelle, dans la sous-série 1g30 date du 13 juin 1469 :
Dans cette vente de cense, par Guillaume HORRY, fils de Jehan, de Chaux, il est exprimé, pour la première fois que l'acquisition, faite par Jehan TABELLION, l'est au profit de la chapelle que ledit Jean TABELLION a fondée en l'église collégiale de Belfort.
Dans l'article précédent chronologiquement celui-ci, daté du 3 décembre 1460, et les précédents, la chapelle n'est pas mentionnée (l'acquéreur est Jehan TABELLION).
On en déduira donc que celle-ci a été fondée entre 1461 et 1469.
Cette chapelle, installée dans l'ancienne collégiale Saint-Denis (démolie en 1751) était, d'après un plan reproduit par Beurier (3), adossée au mur sud-est de la nef, côté sud.
Reconstitution de la position de l'ancienne collégiale Saint-Denis (à l'emplacement de la cour de l'actuelle école Jules-Heidet). La chapelle Saint-Sébastien
était située vers l'angle sud de la nef - point rouge - (dessin extrait du plan de A. Corret de 1855, AD90 2fi)
Plan : © les contributeurs d’OpenStreetMap, données disponibles sous la licence ODbL.
Il n'existe pas à notre connaissance de document relatif à cette fondation, même si la cote ad90 1g30, qui est entièrement dévolue à la chapelle, en fait la chapelle ancienne la mieux documentée de l'ancienne église de Belfort (voir aussi 3e482).
Le terme "fondation" est très général. Il s'agit, pour les fondateurs, de léguer une source de revenus, fonciers, immobiliers, censifs, à une entité "morale", qui les utilisera pour rétribuer des officiants chargé de prier, ou de dire des messes au souvenir des légateurs, selon des fréquences définies dans la fondation.
Dans le cas d'une chapelle, qui est en fait un autel implanté à l'intérieur de l'église, le fondateur aura évidemment en plus à sa charge sa construction ou son aménagement ; comme on l'a vu, se posera également la question des bougies, des luminaires, des ornements pour, sur le long terme, lui assurer un certain lustre. Un (ou plusieurs) chapelains seront désignés par un collateur, ecclésiastique ou laïc.
On ignore en quoi consistait exactement la fondation de la chapelle Saint-Sébastien (on peut identifier néanmoins, dans le document étudié ci-dessous, 8 rentes apportées par ses fondateurs) . On sait par contre (document de 1608 cité ci-dessous), que les collateurs étaient alternativement le "souverain prince" (ou le seigneur engagiste) et le chapitre de Belfort.
On dispose par contre d'un autre parchemin, daté de 1492, qui traite de la (re)fondation par Guillaume BELHOSTE (l'autre personnage désigné par B. de Villèle comme les deux plus influents de la fin du XVème siècle à Belfort), et son épouse Sébille CLERC, de la chapelle de la Sainte-Trinité, et qui décrit avec précision les obligations des chapelains, et les biens mis à la disposition de la chapelle :
Les époux Guillaume BELHOSTE et Sebille CLERC lèguent à cette chapelle :
- une maison à Belfort, près de l'église, dont les chapelains auront l'usufruit, et qu'ils devront entretenir
- un verger
- un jardin, destiné à permettre au chapelain de fournir "les chandelles et luminaires à dire les messes"
- des rentes, pour un montant total d'environ 25 livres bâloises
- un collier en argent de 20 florins
- deux missels, dont l'un en parchemin
- deux chasubles en soie
- des vêtements, et divers objets pour le chapelain et pour l'autel
- un coffret pour ranger ces objets
En contrepartie, le chapelain désigné par les collateurs aura obligation de dire 3 messes par semaine, pour le salut des fondateurs et de leurs parents et successeurs, les dimanche, lundi et samedi. Ainsi que, comme on l'a vu, d'entretenir la maison qui leur a été léguée, et fournir les luminaires pour les messes.
Nota : ce document sera mis en ligne après re-numérisation.
On peut admettre, faute de mieux, que la dotation et les obligations de la chapelle Saint-Sébastien, contemporaine dans la fondation, et souvent associée dans les documents, était comparable à celle-ci (ou peut-être légèrement moins généreuse, vu que BELHOSTE aura sans doute tenu à faire au moins aussi bien que son prédécesseur).
Le document principal classé dans cette cote est un cahier d'environ 125 pages (la 1ère feuille est déchirée), composé après 1573, et portant quelques annotations postérieures (ré-assignages). Il s'agit du récolement et de la copie des titres possédés par la chapelle.
On trouve également sous cette cote :
- un document postérieur à 1621 (estimé à 1631), état des censes encore actives au moment de sa rédaction,
- un testament de 1685 contenant des legs à la chapelle,
- 2 documents en allemand (1574 et 1672) concernant la collation des prébendes,
- une transaction en allemand concernant la collation des chapelles St-Sébastien et de la Trinité, en 1575,
- installation d'Henry FEBVRE, curé de Bavilliers, comme chapelain, en 1585,
- un acte de 1608 concernant le respect des règles de la collation de la chapelle St-Sébastien
- une requête de la communauté de Belfort au chapitre de Besançon de l'autorisation de continuer à utiliser les chapelles St-Sébastien et
de la division des apôtres pour lutter, respectivement, contre la peste, et en mémoire d'un incendie (1661).
Le premier de ces documents est le plus intéressant. Le second titre répertorié (compte non tenu de la page déchirée) constitue un cas particulier : il s'agit de la cession de la succession de Marguerite "DE FRANCFORT" à ses sœurs et beaux-frères, transcrit ci-dessus.
En dehors de ce cas particulier, il s'agit de lettres de ventes de censes (ou équivalents), entre les années 1438 et 1573 ; ils regroupés par communauté.
Ces lettres se répartissent, selon leur date, en 3 catégories :
- jusqu'à 1460 : l'acheteur est Jehan Tabellion lui-même, sans autre mention : 8 titres ; leur cession à la chapelle était certainement mentionnée dans l'acte de fondation
- de 1469 (ci-dessus) à 1473, acheteur est Jehan Tabellion, mais il est mentionné que le revenu revient à la chapelle qu'il a fondée : 3 titres
- à partir de 1490, l'acquéreur de la cense est la chapelle elle-même (avec le cas particulier du premier titre, dont la date manque, daté approximativement de 1481, qui est un acensement, par Guillaume BELHOSTE, dont le profit est partagé entre la chapelle qu'il a fondée et la chapelle Picabo) : 32 titres
Le document de 1631, composé donc 50 ans après le précédent, fait le point sur les revenus effectifs de la chapelle au moment de sa rédaction (il a été commandé par Martin SINEY, maître bourgeois
au moment de l'institution de son fils Pierre comme chapelain de Saint-Sébastien) :
Sur 43 titres antérieurs à 1573, seuls 13 sont clairement identifiés comme valides au jour de la rédaction du mémoire. 11 titres sont postérieurs à 1573, et peuvent correspondre à des ré-assignations (4 le sont probablement). Au final, entre 19 et 30 titres sont considérés comme irrécupérables, ou de valeur négligeable. Ceux qui auraient fait l'objet de saisie des assignaux (pièces de terre cautionnant les censes), ceux-ci auraient été acensés, et leur revenu devrait figurer sur ce récapitulatif.
L'explication tient sans doute en partie au peu de fiabilité des repères cadastraux ; les assignaux n'étant plus identifiables, il devient impossible de les confisquer.
La source AD90 1g 30 a été indexée dans la catégorie ARCHIVES ECCLÉSIASTIQUES, sous le titre chap. col. Belfort (1g 30).