Questions de datation ; maîtres bourgeois

... la sepmainne de la Sainct Jehan degoullasse ... (AMB CC5/4)

Par LISA
Archive : AMB CC5
Les bénévoles de LISA ont, depuis l'origine de notre association, réalisé des dépouillements d'archives plus ou moins anciennes.

Ces dernières années, ils se sont en particulier intéressés aux anciens registres d'administration communale de la ville de Belfort : le Registre du Conseil des Bourgeois, AMB BB1 (1435-1565) et les Comptes Communaux, AMB CC1 à 6 (1432-1598).

Pour les archives les plus anciennes, il arrive que la détermination de la date de l'acte ne soit pas immédiate. En effet, dans certains textes, celle-ci n'est pas exprimée selon notre calendrier moderne (jour, mois, année).
Et la difficulté s’accroît lorsqu'un élément déterminant de datation n'est pas fourni et qu'une petite enquête s'impose pour parvenir à retrouver l'information manquante.

1. Date donnée par référence au calendrier liturgique

Avant 1600, et même plus précisément, dans les séries qui nous intéressent, avant 1580, la date est la plupart du temps donnée par :

  • le saint du jour, ou une fête fixe, ou une référence à l'un d'eux,
  • ou une fête mobile, ou une référence à l'une d'elles.
1-1. Fêtes fixes

Plusieurs variantes dans la formulation :

Date donnée par le saint du jour, ou une fête fixe :

... le jour de la Sainct Françoys ...
Il y a plusieurs saints François dans le calendrier catholique, mais, vu le contexte, il s'agit ici de Saint-François d'Assise, donc du 4 octobre.

Date donnée par un décalage (veille, lendemain, surlendemain) à une fête fixe :

... la veille de la Sainct Andrey ...
C'est le premier jour de l'Avent, le 30 novembre.

Date donnée par un jour de la semaine avant ou après une fête fixe :

... le sabmedy devant la Sainct Mathias ...
Avant le XXème siècle, ce saint était honoré le 24 février. Pour connaître la date de l'acte, la consultation d'un calendrier (en ligne) est nécessaire. À ce propos, il faudra être attentif au format (calendrier julien ou grégorien), et au style ("de Pâques" : ancien style, ou "de la Circoncision" : nouveau style ; voir à ce propos cet article).

Ou encore date moins précise, mentionnant simplement une semaine se référant à une fête :

... la sepmainne de la Sainct Symon...
Il s'agit ici de Saint Simon le zélote, fêté le 28 octobre ; l'acte est donc du mois d'octobre ou de novembre.

1-2. Cycle sanctorial : fêtes et saints "majeurs"

Seuls quelques saints, célébrés par l'église (selon le lieu et l'époque) de manière plus marquée, servent de marqueurs de date ; c'est pourquoi les références indirectes sont majoritaires.

Dans la liasse CC5/3, dont il va être question dans le paragraphe 2, nous avons relevé les saints suivants :

  • saint Jean-Baptiste (début de la période du compte, voir plus loin), le 24 juin
  • saint Pierre, le 29 juin
  • Visitation Notre-Dame, le 2 juillet, de 1263 à 1969
  • sainte Madeleine, le 22 juillet
  • saint Christophe, le 25 juillet, dans notre secteur
  • saint Étienne ; vu le contexte, il s'agit ici de saint Étienne Ier, pape, fêté localement le 2 août
  • saint Laurent, le 10 août (jour de foire)
  • Notre-Dame (Assomption), le 15 août
  • saint Roch, le 16 août
  • saint Barthélémy apôtre, le 24 août
  • Décollation de saint Jean-Baptiste, le 29 août, voir ici
  • saint Mathieu, le 21 septembre
  • saint Michel, le 29 septembre
  • saint François, le 4 octobre
  • saint Denis, le 9 octobre
  • saint Gall "de Suisse", ou "d'Hibernie" (d'Irlande), fondateur d'une importante abbaye dans le canton suisse éponyme, le 16 octobre
  • saint Luc, le 18 octobre
  • saint Simon et saint Jude, apôtres, le 28 octobre
  • Toussaint, le 1er novembre
  • saint Martin d'hiver, le 11 novembre (jour de foire)
  • sainte Catherine, le 25 novembre
  • saint André, le 30 novembre
  • saint Nicolas d'hiver, le 6 décembre
  • Conception, le 8 décembre
  • saint Thomas apôtre, le 21 décembre, jusqu'en 1969
  • Noël
  • les Rois (Épiphanie), le 6 janvier
  • saint Antoine le grand, le 17 janvier
  • saint Sébastien, le 20 janvier
  • saint Vincent, le 22 janvier
  • Purification de Notre-Dame, le 2 février
  • saint Mathias apôtre, le 24 février, jusqu'au XXème siècle
  • saint Aubin, le 1er mars
  • saint Grégoire, le 12 mars
  • saint Georges martyr, le 23 avril
  • saint Marc évangéliste, le 25 avril
  • saint Jacques et saint Philippe, le 9 mai
  • saint Claude, le 6 juin
  • saint Barnabé, le 11 juin.

Le petit nombre de fêtes fixes citées sur la période février-juin s'explique par la prédominance, pour cette période, des fêtes mobiles, reliées à la fête de Pâques.

Quelques autres fêtes seront sans doute mentionnées dans d'autres documents de l'époque, mais signalons ici une curiosité :

1-2-1. Saint Jehan degoullasse

Dans les CC5/3, on trouve la référence suivante :


... que aussy deux soirs la sepmainne
de la sainct Jehan degoullasse ...

Une autre occurrence, dans le CC5/4, permet de mieux situer chronologiquement cette fête, qui doit se placer entre le 15 août et le 8 septembre.

Robert B. et Daniel L. ont contribué à la solution de cette énigme :

Une fête associée à un saint Jean est célébrée le 29 août. Il s'agit de la fête de la Décollation de saint Jean-Baptiste.
Par ailleurs, le cartulaire de l'abbaye de Flines, p. 592, mentionne :

Il apparaît donc que, dans le langage populaire, le nom de la fête a pris la forme "Saint Jean Décollassé", et, dans notre secteur, à cette époque, "Saint Jean Dégoullasse".

1-3. Cycle temporal (fêtes mobiles)

Nous trouvons les mêmes variantes que plus haut, avec cette fois l'ensemble des fêtes du comput de Pâques : Cendres, Carême, Passion, Rameaux, Pâques, Quasimodo, Ascension, Trinité, Pentecôte, Fête-Dieu...

Quelques termes anciens : Grand Jeudi (Jeudi Saint), fête des Bordes (premier dimanche de Carême), Pâques Fleuries (Rameaux) :


... le jour du Grant Jeudy...


... la veille de la foyre des Bourdes ...


... le mardy devant Pasques floryes ..

2. Et si l'année n'est pas mentionnée ?

Comme on l'a vu ci-dessus, en dehors des dates ancrées sur une fête fixe, la détermination du quantième et du mois dépend de la connaissance de l'année.

Or, précisément, dans le Compte de la ville de Belfort CC5/3, l'année n'est pas mentionnée sur le document !
En fonction d'inventaires anciens, le site des Archives Municipales indique : "1550". Ce qui signifie, en théorie, que le compte a été rédigé et rendu en 1550, donc qu'il porte sur la période 26 juin 1549 - 25 juin 1550 (le conseil se met en place à la Saint Jean-Baptiste, pour un an : [1]).

En saisissant les dates issues de cette hypothèse, nous constatons déjà quelques distorsions de chronologie.

Par exemple, à cette vue, pour deux actes successifs, nous avons, dans cet ordre :

  • le vendredi après les Bordes, puis
  • le samedi avant la saint Mathias.

Un petit tableau est nécessaire pour s'y retrouver :

année Bordes vendredi suivant St Mathias samedi précédent
1550 dimanche 23/2 28/2 lundi 24/2 22/2

On constate donc que les deux dates ne sont pas dans le bon ordre.

À ce stade, aucune conclusion n'est possible (on n'a jamais la certitude que les articles de comptes sont chronologiques).

Mais l'origine de la mention "1550" de l'inventaire étant indéterminée, il est indispensable de procéder à une étude approfondie sur l'ensemble du document pour nous permettre une datation fiable.

2-1. Maîtres bourgeois

Il va être question plus loin des maîtres bourgeois.

Rappelons que le conseil de la ville est élu pour un an, sur la période juin à juin pré-citée. À sa tête se trouve le maître-bourgeois. Cette charge est dévolue évidemment aux bourgeois les plus éminents de la ville, mais il est assez peu fréquent qu'ils fassent des mandats consécutifs (une amorce de démocratie ?)

Quoiqu'il en soit, nous connaissons, essentiellement à travers le registre de réception des bourgeois (BB1), le nom de la plupart d'entre eux, sur la période 1544-1555 ; les voici :

1544 -1545 HECHEMENT Pierre
1545 -1546 HECHEMENT Pierre
1546 -1547 BESANÇON Jean
1547 -1548    
1548 -1549 HAYE Jean
1549 -1550 HENNEMAND Jean Perrin
1550 -1551    
1551 -1552 BESANÇON Jean
1552 -1553 KELLER Servois
1553 -1554 PELLETIER Jean
1554 -1555 BESANÇON Jean

En particulier, les années 1551-1554 sont documentées sur la même page du BB1 (les années mentionnées en titre sur le document sont celles de l'élection du maître bourgeois, ce qui est d'autant plus cohérent que le style de millésime en vigueur est le style de Pâques, qui faisait que la plus grande partie de l'exercice du conseil se déroulait pendant l'année de son élection : pendant l'exercice 1552-1553, par exemple, l'année officielle 1552 se prolonge jusqu'au 17 avril, elle dure donc presque 10 mois, alors que ne s'écoulent que 2 mois en 1553).

1551-1552 :


Solvit (=payé) ès comptes
de Jehan Besancon
mre bourgeois
en l'an xvc. li (1551 : le premier i est biffé : voir ci-dessous pour 1552)

1552-1553 :


Solvit ès comptes
de Servoys Keller
mre bourgeois
en l'an xvc. lii (1552)

1553-1554 :

Solvit à honorable homme
Jehan Pelletier estant
oudit an mre bourgeois
.
Aujourd'huy dousiesme jours du mois d'aoust mil cinq
cens cinquante et trois a estez receu pour bourgeois
de la ville de Belffort honnorables homme
Jaique Fermier de Joinville sur marne, clerc notaire
et schribe de la ville de Belffort ...
2-2. Deux dates

Revenons à notre problème de datation :

Voici qu'en compulsant plus loin l'archive CC5/3, nous rencontrons, par exception, une date dans le format "moderne" (vue 102) :

... le vendredy premier jour de septembre ...

Cherchons sur notre calendrier julien en ligne... : entre 1545 et 1568, seule une année donne un vendredi pour la date du 1er septembre : 1553 !

Le problème paraît donc résolu : l'année de ce compte serait donc 1553-1554.

Malheureusement, il apparaît sur la même vue une autre date : le lundi 3ème jour de septembre.

Les dates, pour la même année, du vendredi 1er et du lundi 3 septembre sont incompatibles.
Pour un lundi 3 septembre, sur le même espace de temps (1545-1558), nous trouvons comme seules possibilités les années 1548 et 1554.

Il subsiste donc un doute.

Heureusement, il arrive que le maître bourgeois fasse aussi partie des contrevenants !

2-3. Deux hommes

Sur cette vue (et sur d'autres) le maître bourgeois de l'année de compte est mentionné, comme contrevenant :


Item rappourté huict solz dudit
Jehan Pelletier mre bourgeois
pour avoir faict troup petit
pain ledit jeudy après les Bourdes ...
(Jean Pelletier est un boulanger que l'on retrouve à plusieurs reprises par ailleurs)

Un peu plus loin, un autre maître-bourgeois est cité, celui de l'année de compte précédente :


Item bailler à honnorable homme
Servoys Keller la somme de
quatorze libvres balloises pour
ses gaiges, pennes et sallaires d'estre
estez maître bourgeois l'année precedante

Nous avons ainsi deux années de comptes consécutives, avec la succession :

KELLER Servois
PELLETIER Jean

Rappelons le tableau ci-dessus :

1544 -1545 HECHEMENT Pierre
1545 -1546 HECHEMENT Pierre
1546 -1547 BESANÇON Jean
1547 -1548    
1548 -1549 HAYE Jean
1549 -1550 HENNEMAND Jean Perrin
1550 -1551    
1551 -1552 BESANÇON Jean
1552 -1553 KELLER Servois
1553 -1554 PELLETIER Jean
1554 -1555 BESANÇON Jean

Question : où ces deux années peuvent-elles s'insérer... ?

La seule réponse possible est bien 1553-1554.

Nous notons au passage que, si nous reprenons et complétons le tableau concernant la succession d'une fête fixe et d'une fête mobile, nous constatons que, cette fois, la chronologie est respectée, même si on se demande pourquoi avoir changé de référence à un jour près. :

année Bordes vendredi suivant St Mathias samedi précédent
1550 dimanche 23/2 28/2 lundi 24/2 22/2
1554 dimanche 11/2 16/2
samedi 24/2 17/2
2-4. Et un troisième

Si l'ombre d'un doute pouvait encore subsister, l'acte suivant, daté d’août, les balaye définitivement :


... et mesmes que messieurs les bourgeois
receurent pour bourgeois Jacques
Fermyer clerc de la ville...

Il s'agit de la même personne qui était reçue par Jean Pelletier au paragraphe 2-1, en 1553.

Jacques Fermier, clerc de la ville, originaire de Joinville-sur-Marne, reçu le 12 août 1553 par Jean Pelletier, maître bourgeois (BB1), et le 18 par les bourgeois, dans cet acte du CC5/3.

Cet élément confirme donc la conclusion du paragraphe précédent.

2-5. En conclusion

Tous les éléments ci-dessus : une date, successions de maîtres bourgeois, citation de la réception d'un bourgeois amènent sans le moindre doute à affirmer que le registre CC5/3 porte sur l'année de compte 1553-1554.
Concernant la date du lundi 3 septembre (2-2), elle apparaît donc erronée, puisque incohérente avec toutes les autres données, et n'ouvrant sur aucune hypothèse plausible.

Il a été rédigé et rendu en 1554 et, selon les usages archivistiques, il devrait être daté de cette année et non de 1550.

Nous poursuivons notre travail d'indexation sans crainte d'avoir à corriger une seconde fois les datations.

Un message a été adressé aux Archives Municipales pour faire part de nos observations.

3. Bibliographie

Sur la question du style de changement de millésime :

Sur celle du mode de datation du jour :