le debvoir de gesir...
Par LISA
Archive : ad25 EPM 414
Autres articles :
1. La condition de mainmorte dans le comté de Bourgogne aux XVIIème et XVIIIème siècle
Cette règle générale était évidemment assortie de nombreuses déclinaisons, interprétations, jurisprudences pour s'adapter aux situations particulières.
Nous allons trouver ici des cas de mariages entre personnes de conditions différentes, compliqués, le cas échéant, par des différences de ressort administratif et de religions.
Le document ci-dessous, malheureusement non daté (1), se révèle néanmoins intéressant par les détails qu'il apporte sur la mainmorte, telle qu'elle se pratiquait dans le Comté de Bourgogne (Franche-Comté).
Il est extrait, comme tous ceux auxquels il est fait référence ici, de la cote EPM 414 des AD25, en ligne ici, avec l'accord de ce service (numérisation et mise en ligne par LISA).
Avant d'examiner ce texte, rappelons que ce qui était alors le "village" de Beaucourt, vers 1650, était partagé entre la seigneurie de Blamont (majeure partie), qui avait pour seigneur S. A. S. le prince de Montbéliard, de religion luthérienne, et la seigneurie de Delle, rattachée récemment à la France (après les traités de Westphalie), après avoir relevé de la couronne d'Autriche, où le catholicisme était en vigueur.
Les sujets de la seigneurie de Blamont étaient assujettis à la coutume du Comté de Bourgogne, alors que les autres relevaient de l'intendance d'Alsace, dont le prévôt de Belfort faisait, à l'époque des faits, office de subdélégué.
Comme l'affaire dont Jaques CHOCQUARD de Delle fait
mention dans la requeste ...
(...)
... feu Jean MONNIN le vieux
dudit Bocourt, grand père dudit CHOCQUARD à cause de
sa mère estoit homme et subiect mainmortable de S. A. S.
de Montbéliard à cause de la seigneurie de Blanmont
à raison de quoy Claudine MONNIN mère dudit Jaques estoit
obligée pour rentrer en son partage et avoir sa part de
ses biens (estoit obligée) d'aller gesir le jour de ses nopces sur
le meix et heritage dudit Jean MONNIN le vieux son père
en allant manger et boire ce meme jour sur une des pieces de
l'heritage du père, comme (comme) nous observons en ceste seigneurie,
ce que, une fille ne faisant, ce seul defaut la prive
de la succession de sondit père, selon les coustumes et droicts de
mainmorte du Comté de Bourgongne qui sont observées
en ceste seigneurie ponctuellement. Ce que ladite Claudine
n'ayant fait, comme elle l'advoue par la requeste qu'elle
auroit presenté en l'an 1666 au seigneur intendant
d'Alsace pour lors, dont la propre copie envoyée par le
feu sr. prevost de Belfort pour lors son subdelegué est
très humblement joincte, les guerres ne l'ayant pu empescher
de faire ce debvoir ...
(...)
se contentant de repeter les biens de Judith BOURQUIN femme
dudit Jean MONNIN le vieux sa bellemère, lesquels luy
auroient esté restituez ainsy qu'il en conste par la
copie de lettre de vendage très humblement joincte du
quinzieme mars 1682, bien que
suivant ladite coustume elle en eust fait escheute quoy
que issue de franche condition puisqu'elle seroit
decedée en a maison dudit feu Jean MONNIN le vieux
qui estoit de condition mainmortable sans en partir dans
l'an et jour après le deces de son mari.
N'ayant pu dire avec verité ledit feu Jean George
CHOCQUART non plus que ledit Jaques CHOQUART son
fils suppliant par leurs requeste que c'est à raison de la
religion qu'on ne leur auroit voulu relascher lesdits biens
parce que le contraire se pratique tous les jours dans
le Comté de Montbéliard et seigneuries adjoinctes et
s'il estoit necessaire on en produiroit une infinité
d'exemple de filles qui se sont mariées au Comté de
Bourgongne, terres de Pourrentruy et de Belfort et
changés de religion qui ont tousjours emportez tous leurs
biens, étant de franchise, et lors qu'elles avoient fait le
debvoir de gesir quand elles estoient de mainmorte, toute
la peine estoit qu'on les condamnoit à dix francs
d...ende qui font huict livres tournois pour leur changement
de religion.
Il est vray Monseigneur que j'ay eu aprins que ledit
Jean George CHOCQUARD, voyant qu'à ce defaut que sa femme
avoit fait d'aller ainsy gesir sur l'heritage de son père
elle ne pouvoit venir à la succession de son père Jean
MONNIN le vieux et que les biens d'iceluy estoient chargez
de divers debts passifs tant envers S. A. S. que d'autres
creanciers il tascha d'acheter lesdits biens de la seigneurie
ce que par effect il fit pour vingt une pistoles et demies
qu'il desbourça. Mais comme il estoit de franche condition
de la seigneurie de Delle et qu'il ne voulust mettre un de ses fils
dessus, les heritages dudit Jean MONNIN le vieux, qui estoit de
condition mainmortable et le rendre de ceste condition pour
destenir ledit meix et rendre les courvées, prétentions et debvoirs
qu'il estoit chargé envers sadite A. S. comme seigneur de la mainmorte,
cela fit qu'on revendit ledit heritage aux subiects de S. A. S. audit
Bocourt, qui pour lors estoient tous de condition mainmortable
excepté un Richard DAMOTTE qui estoit de franche condition,
desquels vendages il n'en fut passé aucuns actes (2) oultres que
lesdits subiects de sadite A. S. en prétendoient la restraction ensuite
de ce qui se pratique en ceste seigneurie parce que lesdits biens
ne peuvent estre allienez hors seigneurie et à gens d'autre
condition que de mainmorte, à leur faute et surcharge
à quoy semble estre conforme à la déposition de
François BOURQUIN cousin de la mère dudit Jaques et autres
tesmoins ouys à la requisition dudit CHOCQUART (...)
Par appres lesdits habitans de Bocourt subiects de sadite A. S.
ayans revendus lesdits biens à David PERLY le quatrieme
novembre 1649 (3) (...)
Ces filles doivent ainsi "aller gesir le jour de ses nopces sur les meix et heritage dudit ... père, en allant manger et boire ce meme jour sur une des pieces de l'heritage du père".
Pour tenter de comprendre cette coutume, rappelons, comme nous l'avons vu plus haut, que les sujets mainmortables ne peuvent transmettre leurs biens qu'à leurs descendants vivant en communion avec eux (leurs communiers).
C'est le cas normalement des fils, comme le rappelle 1, "parce qu'ils n'ont pas la même raison [que les filles]. S'ils quittent leurs pere & mere après qu'ils sont mariés, c'est quelquefois par caprice, & plus ordinairement parce qu'ils veulent jouir en leur propre, & faire leur profit particulier. Ils doivent par conséquent s'imputer s'ils ne succedent pas, & s'ils ont préféré le profit qu'ils espéroient de faire en leur particulier, à la part qu'ils auroient eue dans la succession de leurs parens."
La fille, elle, est "obligée de quitter la communion de ses pere & mere pour suivre son mari" (id).
Cet acte nous indique donc que la coutume lui donne donc le moyen d'hériter, à condition toutefois de se plier à une formalité symbolique, manifestement antique, revenant à exprimer un certain attachement à l'héritage paternel : coucher dans la maison paternelle et dîner sur une de ses terres.
On voit cependant que la dame Chocquart n'a pas respecté cette obligation. Curieuse omission, qui aurait pu coûter cher au couple (sans rentrer dans les détails de cette affaire assez complexe). Était-elle vraiment connue des sujets, et réellement appliquée ?
"elle en eust fait escheute(4) quoy que issue de franche condition puisqu'elle seroit decedée en a maison dudit feu Jean MONNIN le vieux qui estoit de condition mainmortable sans en partir dans l'an et jour après le deces de son mari.
Nous sommes dans le cas inverse de la situation précédente : une femme de condition libre (sans doute catholique) a épousé un "homme de mainmorte".
La source 1 nous rappelle ceci, avant de disséquer toutes les questions résultant de cette règle : Si une femme franche se marie a un homme de Mainmorte vivant son mari, elle est tenue & réputée de Mainmorte; & après le décès de sondit mari, elle se peut départir du lieu de Mainmorte, & aller demeurer en lieu franc, si elle veut ; & demeure franche, comme elle etoit auparavant ce qu'elle vint demeurer audit lieu de Mainmorte ; en délaissant, dans l'an & jour après le trépas de fondit mari, ledit lieu de Mainmorte, le meix & tous les héritages d'icelui son mari, étant audit lieu de Mainmorte ; & si ladite femme y demeure plus d'an & jour, elle sera de la condition dudit meix mainmortable.
On comprend de cet article qu'une femme libre ayant épousé un mainmortable se trouve, si elle survit à son mari, à choisir entre deux solutions :
Dans le cas complexe de cette affaire, il apparaît néanmoins qu'après l'échute, le gendre Jean-Georges Chocquart soit parvenu à se faire restituer les biens de sa belle-mère.
Il est clair que, dans ce cas, la femme est obligée de prendre la religion de son mari, en payant les 10 francs d'amende. Mais cette "conversion" ne paraît pas, comme on aurait pu le penser, se heurter à un réel tabou, ni susciter une ferme opposition des autorités religieuses. Si toutefois notre châtelain ne fait pas erreur.
Ce point, qui rattache la condition personnelle au statut de la terre exploitée, est évidemment complexe, et il a soulevé, avec d'autres, maintes questions juridiques, avant même la fin de l'Ancien Régime.
Nous renvoyons les lecteurs qui souhaiteraient les approfondir aux ouvrages référencés ci-dessous.
- Beaucourt :
- Mainmorte : La condition des habitants de Rechotte au XVIème siècle : libres ou mainmortables ?
1. La condition de mainmorte dans le comté de Bourgogne aux XVIIème et XVIIIème siècle
2. Avertissement du châtelain de Blamont à l'intendant de Bourgogne (sans date)
3. Enseignements livrés par cet acte
1. La condition de mainmorte dans le comté de Bourgogne aux XVIIème et XVIIIème siècle
Rappelons simplement que cette condition, héritée de la servitude, consiste essentiellement à ce que le sujet qui était frappé de cette "macule" ne pouvait "disposer de ses biens par acte de dernière volonté, si ce n'est au profit des parents qui vivaient en commun avec lui. De plus, les biens ainsi concédés ne pouvaient être aliénés ni hypothéqués sans le consentement du seigneur. Dans ce cas, l'acquéreur devait payer au seigneur un droit de mutation (...) Celui- ci avait en outre le droit de retenir l'objet vendu en se mettant au lieu et place de l'acquéreur. Cette dernière réserve s'appelait droit de lods et était un accessoire du droit de mainmorte."(2)Cette règle générale était évidemment assortie de nombreuses déclinaisons, interprétations, jurisprudences pour s'adapter aux situations particulières.
Nous allons trouver ici des cas de mariages entre personnes de conditions différentes, compliqués, le cas échéant, par des différences de ressort administratif et de religions.
2. Avertissement du châtelain de Blamont à l'intendant de Bourgogne (sans date)
Les documents conservés dans le fonds EPM des AD du Doubs sont très divers.Le document ci-dessous, malheureusement non daté (1), se révèle néanmoins intéressant par les détails qu'il apporte sur la mainmorte, telle qu'elle se pratiquait dans le Comté de Bourgogne (Franche-Comté).
Il est extrait, comme tous ceux auxquels il est fait référence ici, de la cote EPM 414 des AD25, en ligne ici, avec l'accord de ce service (numérisation et mise en ligne par LISA).
Avant d'examiner ce texte, rappelons que ce qui était alors le "village" de Beaucourt, vers 1650, était partagé entre la seigneurie de Blamont (majeure partie), qui avait pour seigneur S. A. S. le prince de Montbéliard, de religion luthérienne, et la seigneurie de Delle, rattachée récemment à la France (après les traités de Westphalie), après avoir relevé de la couronne d'Autriche, où le catholicisme était en vigueur.
Les sujets de la seigneurie de Blamont étaient assujettis à la coutume du Comté de Bourgogne, alors que les autres relevaient de l'intendance d'Alsace, dont le prévôt de Belfort faisait, à l'époque des faits, office de subdélégué.
Comme l'affaire dont Jaques CHOCQUARD de Delle fait
mention dans la requeste ...
(...)
... feu Jean MONNIN le vieux
dudit Bocourt, grand père dudit CHOCQUARD à cause de
sa mère estoit homme et subiect mainmortable de S. A. S.
de Montbéliard à cause de la seigneurie de Blanmont
à raison de quoy Claudine MONNIN mère dudit Jaques estoit
obligée pour rentrer en son partage et avoir sa part de
ses biens (estoit obligée) d'aller gesir le jour de ses nopces sur
le meix et heritage dudit Jean MONNIN le vieux son père
en allant manger et boire ce meme jour sur une des pieces de
l'heritage du père, comme (comme) nous observons en ceste seigneurie,
ce que, une fille ne faisant, ce seul defaut la prive
de la succession de sondit père, selon les coustumes et droicts de
mainmorte du Comté de Bourgongne qui sont observées
en ceste seigneurie ponctuellement. Ce que ladite Claudine
n'ayant fait, comme elle l'advoue par la requeste qu'elle
auroit presenté en l'an 1666 au seigneur intendant
d'Alsace pour lors, dont la propre copie envoyée par le
feu sr. prevost de Belfort pour lors son subdelegué est
très humblement joincte, les guerres ne l'ayant pu empescher
de faire ce debvoir ...
(...)
se contentant de repeter les biens de Judith BOURQUIN femme
dudit Jean MONNIN le vieux sa bellemère, lesquels luy
auroient esté restituez ainsy qu'il en conste par la
copie de lettre de vendage très humblement joincte du
quinzieme mars 1682, bien que
suivant ladite coustume elle en eust fait escheute quoy
que issue de franche condition puisqu'elle seroit
decedée en a maison dudit feu Jean MONNIN le vieux
qui estoit de condition mainmortable sans en partir dans
l'an et jour après le deces de son mari.
N'ayant pu dire avec verité ledit feu Jean George
CHOCQUART non plus que ledit Jaques CHOQUART son
fils suppliant par leurs requeste que c'est à raison de la
religion qu'on ne leur auroit voulu relascher lesdits biens
parce que le contraire se pratique tous les jours dans
le Comté de Montbéliard et seigneuries adjoinctes et
s'il estoit necessaire on en produiroit une infinité
d'exemple de filles qui se sont mariées au Comté de
Bourgongne, terres de Pourrentruy et de Belfort et
changés de religion qui ont tousjours emportez tous leurs
biens, étant de franchise, et lors qu'elles avoient fait le
debvoir de gesir quand elles estoient de mainmorte, toute
la peine estoit qu'on les condamnoit à dix francs
d...ende qui font huict livres tournois pour leur changement
de religion.
Il est vray Monseigneur que j'ay eu aprins que ledit
Jean George CHOCQUARD, voyant qu'à ce defaut que sa femme
avoit fait d'aller ainsy gesir sur l'heritage de son père
elle ne pouvoit venir à la succession de son père Jean
MONNIN le vieux et que les biens d'iceluy estoient chargez
de divers debts passifs tant envers S. A. S. que d'autres
creanciers il tascha d'acheter lesdits biens de la seigneurie
ce que par effect il fit pour vingt une pistoles et demies
qu'il desbourça. Mais comme il estoit de franche condition
de la seigneurie de Delle et qu'il ne voulust mettre un de ses fils
dessus, les heritages dudit Jean MONNIN le vieux, qui estoit de
condition mainmortable et le rendre de ceste condition pour
destenir ledit meix et rendre les courvées, prétentions et debvoirs
qu'il estoit chargé envers sadite A. S. comme seigneur de la mainmorte,
cela fit qu'on revendit ledit heritage aux subiects de S. A. S. audit
Bocourt, qui pour lors estoient tous de condition mainmortable
excepté un Richard DAMOTTE qui estoit de franche condition,
desquels vendages il n'en fut passé aucuns actes (2) oultres que
lesdits subiects de sadite A. S. en prétendoient la restraction ensuite
de ce qui se pratique en ceste seigneurie parce que lesdits biens
ne peuvent estre allienez hors seigneurie et à gens d'autre
condition que de mainmorte, à leur faute et surcharge
à quoy semble estre conforme à la déposition de
François BOURQUIN cousin de la mère dudit Jaques et autres
tesmoins ouys à la requisition dudit CHOCQUART (...)
Par appres lesdits habitans de Bocourt subiects de sadite A. S.
ayans revendus lesdits biens à David PERLY le quatrieme
novembre 1649 (3) (...)
3. Enseignements livrés par cet acte
Notons d'abord qu'à l'époque des faits (1649), toutes les familles beaucourtoises dépendant de Blamont étaient mainmortables, sauf une (celle de Richard DAMOTTE).3.1 Succession d'un sujet mainmortable pour une de ses filles
Le point le plus singulier est l'obligation faite aux femmes de condition mainmortable pour pouvoir bénéficier de leur part d'héritage paternel.Ces filles doivent ainsi "aller gesir le jour de ses nopces sur les meix et heritage dudit ... père, en allant manger et boire ce meme jour sur une des pieces de l'heritage du père".
Pour tenter de comprendre cette coutume, rappelons, comme nous l'avons vu plus haut, que les sujets mainmortables ne peuvent transmettre leurs biens qu'à leurs descendants vivant en communion avec eux (leurs communiers).
C'est le cas normalement des fils, comme le rappelle 1, "parce qu'ils n'ont pas la même raison [que les filles]. S'ils quittent leurs pere & mere après qu'ils sont mariés, c'est quelquefois par caprice, & plus ordinairement parce qu'ils veulent jouir en leur propre, & faire leur profit particulier. Ils doivent par conséquent s'imputer s'ils ne succedent pas, & s'ils ont préféré le profit qu'ils espéroient de faire en leur particulier, à la part qu'ils auroient eue dans la succession de leurs parens."
La fille, elle, est "obligée de quitter la communion de ses pere & mere pour suivre son mari" (id).
Cet acte nous indique donc que la coutume lui donne donc le moyen d'hériter, à condition toutefois de se plier à une formalité symbolique, manifestement antique, revenant à exprimer un certain attachement à l'héritage paternel : coucher dans la maison paternelle et dîner sur une de ses terres.
On voit cependant que la dame Chocquart n'a pas respecté cette obligation. Curieuse omission, qui aurait pu coûter cher au couple (sans rentrer dans les détails de cette affaire assez complexe). Était-elle vraiment connue des sujets, et réellement appliquée ?
3.2 Cas d'une femme d'origine libre, veuve d'un sujet mainmortable
Un second point intéressant concerne Judith BOURQUIN, épouse de Jean MONNIN le vieux, grand-mère du requérant."elle en eust fait escheute(4) quoy que issue de franche condition puisqu'elle seroit decedée en a maison dudit feu Jean MONNIN le vieux qui estoit de condition mainmortable sans en partir dans l'an et jour après le deces de son mari.
Nous sommes dans le cas inverse de la situation précédente : une femme de condition libre (sans doute catholique) a épousé un "homme de mainmorte".
La source 1 nous rappelle ceci, avant de disséquer toutes les questions résultant de cette règle : Si une femme franche se marie a un homme de Mainmorte vivant son mari, elle est tenue & réputée de Mainmorte; & après le décès de sondit mari, elle se peut départir du lieu de Mainmorte, & aller demeurer en lieu franc, si elle veut ; & demeure franche, comme elle etoit auparavant ce qu'elle vint demeurer audit lieu de Mainmorte ; en délaissant, dans l'an & jour après le trépas de fondit mari, ledit lieu de Mainmorte, le meix & tous les héritages d'icelui son mari, étant audit lieu de Mainmorte ; & si ladite femme y demeure plus d'an & jour, elle sera de la condition dudit meix mainmortable.
On comprend de cet article qu'une femme libre ayant épousé un mainmortable se trouve, si elle survit à son mari, à choisir entre deux solutions :
- abandonner tous les biens du défunt pour, dans le délai d'un an et un jour après le décès de son conjoint, retourner en une résidence franche, où elle serait en mesure de transmettre ses "propres" (son héritage personnel) à ses descendants
- rester dans la demeure conjugale (dont elle a naturellement l'usufruit) jusqu'à son décès, mais les laisser tomber en l'échute du seigneur dont relève la mainmorte.
Dans le cas complexe de cette affaire, il apparaît néanmoins qu'après l'échute, le gendre Jean-Georges Chocquart soit parvenu à se faire restituer les biens de sa belle-mère.
3.3 Mariage inter-religieux
Il semble être étonnamment courant, dans le pays de Montbéliard et alentour : "se pratique tous les jours dans le Comté de Montbéliard et seigneuries adjoinctes et s'il estoit necessaire on en produiroit une infinité".Il est clair que, dans ce cas, la femme est obligée de prendre la religion de son mari, en payant les 10 francs d'amende. Mais cette "conversion" ne paraît pas, comme on aurait pu le penser, se heurter à un réel tabou, ni susciter une ferme opposition des autorités religieuses. Si toutefois notre châtelain ne fait pas erreur.
3.4 Condition des biens et condition des sujets
Enfin, un point plus général est éclairé par la dernière partie du texte : un individu qui s'établit sur des biens mainmortables devient lui-même de condition mainmortable ("le rendre de ceste condition pour destenir ledit meix et rendre les courvées").Ce point, qui rattache la condition personnelle au statut de la terre exploitée, est évidemment complexe, et il a soulevé, avec d'autres, maintes questions juridiques, avant même la fin de l'Ancien Régime.
Nous renvoyons les lecteurs qui souhaiteraient les approfondir aux ouvrages référencés ci-dessous.
RÉFÉRENCES
1 Traités de la mainmorte et des retraits, par M. F.-I. Dunod, 1761
(ici)
2 Un procès en mainmorte en Franche-Comté en 1772 ; Ambroise Buchère ; Revue historique de droit
français et étranger (1855-1869), Vol. 10 (1864) (ici)
NOTES
1 Un Jacques Chocard de Delle vend un bien à un certain Jean Bourquin en 1699
(ici). C'est le seul individu de ce
nom relevé à Delle sur cette période ; il semble décéder à Delle en 1701. L'acte pourrait dater des années 1690-1700.
2 Curieusement, les archives modernes sont plus riches que celles que le châtelain de Blamont a pu
consulter : il existe bien une trace de cette transaction ici
3 Vente des biens à D. Perlet : ici
4 Escheutte = échute : droit du seigneur de succéder à ses sujets mainmortables, si certaines
conditions ne sont pas remplies par les héritiers potentiels ; les biens tombent alors en échute.
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