
Le fonds Mazarin a été constitué par les héritiers du Cardinal pour rassembler les pièces ayant trait aux droits dont celui-ci, par l'effet de la donation royale dont il a bénéficié, était, en grande partie, le successeur de la maison de Habsbourg en Haute Alsace.
La pièce dont il est question ici est conservée aux AD90 sous la cote 3e 925, regroupant, dans le chapitre "Titres par communauté", ceux concernant la paroisse de Grosne.
Il s'agit d'une enquête réalisée en 1504 sur certains droits seigneuriaux dans la paroisse de Grosne (Grosne, Boron, Vellescot), effectuée auprès de certains habitants de cette paroisse, et de Brebotte.
Elle concerne plus précisément le village de Normanvillars, les amendes et les banvins dans la paroisse de Grosne.

tesmoingz examinez pour et en nom de noble et puissant seigneur
Nicolay de Tulliere seigneur de Montjoye, MontRon et Hemericourt (1)
examinez par moy Jehan Fevre de Pourrantruy prebstre, de l’auctorité impérial
notaire et juré de la court de Besançon, par vertu d’ung mandement
emaner de hault et puissant seigneur sieur Wolffganng, conte de Furstenberg et
bailly d’Asses (2), dont la teneur est cy après escripte, lesquelx sont
estez adjornez par honorable homme Guyat Petterman prevost de Bourbotte
au mecredi après le diemenche de Judica me deus et à tous aultres
jours ensuiguent (suivants) que je vaqueroye en cestuy present examen, l’an de
la nativitey notre seigneur courrant mil cinq cens et quatre, lesquelx
ont jurez aux sainctes evvangiles de dieu de dire et deposer les
bons et loyaulx tesmoingnaiges de veritey sans amours, faveurs
dons, promesses, et sans soubstenir partie, ains que pour la pure
veritey dire.
Le mandement en question (en allemand) est effectivement recopié à la fin de l'archive.

S'ensuit la copie du mandement dont cy dessus
est faict mention
Wir Wolffganng Graff zu Furstemberg Römischer Kinigklicher
M[ajestä]t Hoffmarschalck Obrister unnd landtvogt in Elsas r[..]
empieten allenn unndjeglichenn, Geistlichen unnd [...]

mit disem unnserm offenn mandat ersücht unnd ervordert werden
Unnser fruntlich dienst gunstlich grüβ Züvor. Alsostat
der Edell herr Niclaus herr zu Froberg vor Unns unnd den
kiniglichen Rethenn alhir zu Emsiβheim am hoffgerichin
Recht gegen dem Strenngen herr Bernhardin von Rinach
ritter verfaβt Dadem sich der [bemellt] benant von Froberg
under anderen kuntschafft dar züthün berumbt Die im mit Recht
zügelassenn erkannt sind / Unns [Um?] unns daruff umb mandato
auβgen zülassenn angeruffend Demselben noch so schaffen
wir anstatt kunglicher maestat mit allen denen so wir
zügepieten habenn Ernnstlich, Unnd bitten allen andern
mit flyß denen Wir nit zugepieten haben Daß ir uff
des benanten von Frobg. oder seins anwalts anziechenn kuntschafft
geben unnd sagen son... einem jedenn / der sach an inn gezogen
kund unnd wissenn ist / Angesehenn das kuntschafft
der warheit dem Recht zu hilff / niemands besagt
sonnder mangklicher geben werden soll. Zuurkundt mit
Unserm zuruck uffgetruckten secret versiglet unnd geben
uff Sambstag vor Occuli Anno domini ... quarto.
Le noble sire Nicolaus, seigneur zu Froberg (de Montjoie), se présente ici, à la cour d'Ensisheim, devant nous et les conseillers royaux, pour faire valoir ses droits contre le redouté seigneur Bernhard de Rinach (de Reinach). Lui, zu Froberg, prétend pouvoir prouver son droit (la connaissance de son droit).
Pour prononcer la sentence judiciaire au nom de Sa Majesté Royale, nous ordonnons à ceux à qui nous commandons et demandons à ceux à qui nous ne commandons pas, qu'ils donnent des informations sur cette affaire - de Froberg ou son avocat -, afin que la vérité soit rétablie, que personne ne soit accusé, mais que chacun soit traité avec justice.
Certifié par l’apposition de notre sceau, scellé et donné le samedi avant Oculi, en l’an (150)4.
La plupart des témoignages se recoupant, nous ne transcrirons entièrement que le premier d'entre eux.
L'enquête débute le mercredi après Judica me deus (dimanche de la Passion) 1504, soit le 27 mars 1504, si le style employé dans l'acte est bien le "style de la cour de Besançon", ou le 12 mars 1505, s'il s'agit du "style de Bâle".

Bourquin Bourqueney al(ia)s Malfait, dudit Bourbotte, premier tesmoing, jure comme
dessus, eaigé de septante ans, ayans bonne souvenance
de quarante et plus, dit et depose que, de tous le tempz passé
dont il est raccord et souvenant, que tous les habitans et le
villaige de Normantvillers estient parrochien et sont encour de
la parroche de Gronne, et que les jurés dudit villaige de Normant-
villers et les banvart dudit Normantvillers fassoyent serement
au maire de monsieur de Montjoye de bien garder et gouverner
justement. Dit aussi que ung nommer Perrin Louy de Valescot
fit une amende en la justice de Souharce de soixante solz
alencontre de Jehan Ferriot de Boron, filz de Jehan Regnauld
dudit lieu, pour une myevreray, et lequel Perrin fut renvoyer
pour ladite amende par devant ledit sieur de Montjoye, et dit
que sont trante et huict ans passés. Dit aussi ledit deposant

certaines plaice de terre, tant en boix que en plain, lesquelles
se nomment les greuses des sieurs de Montjoye. Touchant les
banvins dit riens scavoir que l’oyr dire que l’on les y a venduz
aultreffois ; combien, qu’il ne l’a point veu. Dit aussi ledit
deposant que, quant on vent les banvins au lieu de Gronne
ou en la parroche, que ceulx dudit Normantvillers ont telle
franchise que les aultres habitans de ladite parroche, assavoir
que on ne les doit point constroindre à cause desdits banvins
jusques lesdits banvins sont venduz, comme est de us et de costumes.
Dit aussi que lesdits sieurs de Montjoye ont heuz la haulteur de
la justice en toute la parroiche de Gronne entierement, reserver
une petite justice que se tient oudit Gronne, dicte la Meriatte ;
et quelque amende que se fassoit en celle petite justice que
excedoit trois solz, ladite amende estoit auxdits sieurs de Montjoye.
Dit aussi que feu Horriat de Normantvillers heut ung debat
en la fin de Normantvillers contre ung duquel nom il n’est
raccord, et tellement qu’il en fut au droit au Souharce (Suarce) et fut
jugé ledit Horriat à soixante solz, et après cela fut gaigé
de ses biens et furent mener à Florimont et n’en voullsut
point accourder avec feu bonne memoire Monsr. Marque
Delapierre (3) ne (ni) à ses officiers car il disoit riens
debvoir, veu que le debat estoit pris en la fin de Normantvillers
et qu’elle appartenoit ès seigneurs de Montjoye, et en accourda
èsdits sieurs de Montjoye. Et plus ne scait et n’en dit
pour amour, faveurs, dons, promesses, haynes, rancoeurs ains
que pour la pure veritey dire.
Les autres déposants sont :
2 - Jehan DE MOSTUREUX, 60 ans, de Brebotte, clerc, fils de feu Regnauld
3 - Cuenin CHEVILLART, 50ans, de Brebotte
4 - Estienne MALEDENS, 70 ans, de Grosne
5 - Jehan RUECHENEY, 50 ans, de Grosne, originaire de Chavanne
6 - Guillame GILLEQUAT, 72 ans, de Grosne
7 - Quelanin JEHAN PAYUGE, 50 ans, de Grosne
8 - Perrin FLORIN, 60 ans, de Grosne
9 - Henry MERQUET, 40 ans, de Grosne
10 - Quelane GOLYN, 60 ans, de Boron
11 - Alix, 60 ans, de Grosne, veuve de feu Richard JEHAN MAISTRE
12 - Jehan MASSON, 50 ans, de Grosne
13 - Jehan CUENAT, 70 ans, de Boron
14 - Jehan, 30 ans, de Boron, fils de feu Grand Jehan
15 - Richard PERRESEL, 50 ans, de Boron
16 - Cuenin FERRIOT, 36 ans, de Boron fils de feu Jehan
17 - Peterman ROSSELAT, 25 ans, de Boron
18 - Jehan Vuillemat GROS, 40 ans, de Boron
19 - Jehan ORRY, 40 ans, de Boron
20 - Perrin COURTOT, 40 ans, de Grosne
21 - Perrin GROS, 40 ans, de Boron fils de feu Girard
22 - Jehan RAMEL, 60 ans, de Grosne
23 - Jehan GROS, 50 ans, de Boron
24 - Henry VUILLEMAT dit Rouellard, 60 ans, de Boron
25 - Jehan PERRIN, 50 ans, de Boron
26 - Jehan BERBIER, 50 ans, de Vellescot
27 - Vuillemin BOURGEOISSE, 50 ans, de Grosne
28 - Jehan PIERRE, 50 ans, de Brebotte fils de feu Henry
29 - Humbert MARIAL, 60 ans, de Brebotte
30 - Jehan Regnault COCHEPIN, 70 ans, de Delle, cité par Jehan SCHWITZER, voible de Delle
Leurs dépositions se recoupent largement, au point qu'on détecte des "copié-collé".
Le témoin 7, Quelanin JEHAN PAYUGE, précise qu'il sait que les habitants de Normanvillars appartiennent à la paroisse de Grosne ...
car le curey dudit Gronne leurs ministre tous sacremens de sainct esglise, et quant ilz vont à trespas l'on les mect ou (au) cemetiere dudit Gronne comme tous les aultres parrochiens (...)
Le témoin 12, Jehan MASSON, rapporte que :
(...) par certains temps passés, soict environ douze ans, qu'il estait lemenier ou marandier de l'esglise de Gronne (...) comme il gaigeat plusieurs du villaige de Normantvillers pour les censes et rentes qu'il debvent à l'esglise de Monsieur Saint Pol appostre ou villaige dudit Gronne et que de anciennetey et entierement il sont et appartiennent à la parroiche dudit Gronne (...)
Le témoin 24, Henry VUILLEMAT dit Rouellard, précise que :
(...) feurent Perrin LOUY de Valescot et Jehan FERRIAT filz de Jehan Regnault de Boron heurent debatz entre eulx ou finaige dudit Normantvillers ou lieu que l'on dit ès Planches Quayroy (...)
Il ajoute également que :
(...) feu SPAPACH (4) que dieu absoille il a longtempz passé estoit sieur de la Motte de Florimont lequel jamais ne demandoit riens aux habitans dudit Normantvillers senon la taille à PROUDHOMME. Dit aussi que a veu ung nommer Jehan DU CHESAL, lequel avoit la chastellenie et charge dudit Florimont, lequel aussi et pareillement ne demandoit riens èsdits habitans dudit Normandvillers, feur (fors) que la taille à PRUDHOMME, et aussi ung nommer Jehan ROSSELLOT lequel aussi ne demandoit riens feur que ladite taille (...)
Le dernier témoin, Jehan Regnault COCHEPIN, explique que :
(...) sont environ quarante ans que (il) heust differain pour gaige contre HORRYAT de Normantvillers, et (il) le fit à gaiger par Huguenat BERBIER serviteur de feu donzel Henry de SAIZINGEN (5) lors chastellain de Florimont, et tellement que lesdites parties venrent au droit par devant ledit chastellain dudit Florimont, et après oyr (il) fut jugé pour soixante solz et fut renvoyer par ladite justice de Florimont ès sieurs dudit Montjoye pour en accourder avec lesdits sieurs de Montjoye, en en accordit avec ung nommer Perrin filz de (blanc) CHARMOY lors maire audit Grosne pour lesdits sieurs de Montjoye (...)
Ce village était situé sur le territoire actuel de la commune de Florimont, dans une zone de bois et d'étangs, et son nom a disparu de la topographie actuelle.
En 1575, il était déjà considéré comme "disparu depuis longtemps" (6).
Un document de 1709 (AD68 1 D sup 252) se penche plus précisément sur la question :
(...)
Au début du XVIIIe siècle, la "forêt" de Normanvillars appartient au seigneur de Florimont ; il y installe des fermiers anabaptistes au point que le curé de Suarce considérera les lieux comme "une petite République au milieu du Royaume" ; cf. notre article Familles et fermes anabaptistes dans le T.-de-B.
Une enquête de l'an XII, faisant en quelque sorte le pendant de celle-ci, signale le ban de Normanvillars comme partie de la paroisse de Florimont, mais celle de Grosne le réclame (8).
Mais, dés la création des communes, le "ban" de Normanvillars est inclus dans celle de Florimont, comme on peut le voir dans l'atlas communal du cadastre napoléonien, feuille 3 et feuille 4.
Les Montjoie forment une ancienne famille noble, qui doit son nom au château qu'elle fit construire près de Vaufrey (25190). Ses biens et titres passent en 1419 à la branche de Thuillières et ses descendants.
La partie principale de ses possessions, à la fin du moyen-âge, est située dans le Sundgau (Hinsingue et Heimersdorf) et dans la paroisse de Grosne (9). Cependant, d'autres seigneurs possèdent des droits dans cet ensemble de villages (Grosne, Boron, Recouvrance, Vellescot, et donc Normanvillars), à savoir le seigneur de Florimont, le prieuré de Froidefontaine, le chapitre de Belfort et la famille de Roppe (id.).
Le baron Jean-Nicolas de Thuillières-Montjoie, dont il est question ici, né avant 1474 (10), est le 3ème seigneur de la famille de Thuillières-Montjoie.
Au cours de la période autrichienne, la seigneurie de Florimont est la plupart du temps entre les mains de seigneurs engagistes. À la fin du XVième siècle, c'est Bernardin de Reinach qui possède cette charge, ayant succédé à son beau-père Marquart de Stein en 1480.
La difficulté à démêler les droits des uns et des autres a sans doute été à l'origine de cette enquête.
L'élément fondamental qui explique l'intérêt des Mazarin sur ce point est le fait qu'en 1629, la part des Montjoie dans la paroisse de Grosne est revenu par échange à la seigneurie de Delle, terre d'administration directe des Habsbourg, qui fut ensuite elle-même incluse dans la donation au cardinal.
Alors qu'à l'opposé, la seigneurie de Florimont en fut exclue, comme quelques autres, pour être vendue, au nom du roi de France, à Gaspard Barbaud (11) le 27 mars 1684.
La conclusion de cette enquête figure sur sa dernière page, d'une main sans doute contemporaine de celle de la constitution du fonds

1 - que le village de Normanvillars est de la paroisse de
Grüen.
2 - que au finage de Normanvillars il y a des greuses
qui appartiennent à Mrs de Montjoye.
3 - que la seigneurie de Montjoye at la haute justice
en toute la paroisse de Gruen, que les amendes
luy appartiennent, à la réserve de celles qui ne
excèdent point trois sols, qui sont jugés à la petite
justice dit la Meriatte, que les amendes de
Normanvillars luy ont esté renvoyé depuis la justice
de Suarce.
4 - que les banvins luy appartiennent dans toute la
paroisse, qu'ils en ont veu vendre à Gruen,
Boron ... n'en ont point veu
vendre à Normanvillars, mais que les habitans
dudit lieu ont les mesmes franchises comme les autres
de la paroisse au sujet desdits banvins (12).
Cette conclusion fut donc largement à l'avantage du baron de Montjoie, donc, postérieurement, de la famille de Mazarin.
Au sud-est de Montjoie-le-Château (25190), se trouvait le château de Moron, au dessus du hameau du même nom (25190 Vaufrey). Le fief de Heimersdof (68560) appartient aux Montjoie depuis le début du XVème siècle.
Il est le père de Guillaume de Fürstemberg (1491-1549), époux de Bonne de Neuchâtel-Bourgogne, que nous avons rencontré dans notre article sur le châterau seigneurial de Bourogne, au sujet de Hamman de Brinighoffen. Nous le rencontrerons encore dans un futur article sur la guerre des Paysans.
Il y a tout lieu d'estimer que le mot "Asses" désigne la ville d'Ensisheim, siège de la régence autrichienne d'Alsace.
Dans les textes francophone, le nom de cette localité subit d'importantes transformations. La forme la plus courante est "Anguessey" ; mais on trouve également Anxay, Aussay, et, ici, sans doute "Asses".
La famille de Spechbach fut également possessionnée au XVIème siècle à Grandvillars.
La commune de Chavannes-les-Grands possède toujours, sur le ban de Normanvillars (aujourd'hui rattaché à la commune de Florimont), un canton de forêt appelé Bois Spépach. Ce nom provient du fait que la commune de Chavannes avait intenté un procès en 1498 contre Bernardin de Reinach à propos de cette forêt dont la propriété "depuis des temps immémoriaux" lui avait été contestée par Henry de Spechbach quelques dizaines d'années plus tôt (précisions fournies par Daniel J. Lougnot).